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"Un véritable enjeu de santé publique" : comment le rugby amateur commence à lutter contre le fléau des commotions cérébrales

En France, tous sports confondus, au moins 100 000 commotions cérébrales sont diagnostiquées chaque année. Le rugby amateur est particulièrement touché par ce fléau, encore trop souvent sous-estimé par les sportifs et professionnels.
Article rédigé par franceinfo - Fanny Lechevestrier
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
De jeunes joueurs de rugby amateur, à Tarbes, en 2022. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

De plus en plus de joueurs et joueuses osent briser le tabou pour alerter sur les commotions cérébrales qui touchent de nombreux sports, en particulier le rugby. Un véritable fléau pour la santé qui concerne aussi bien les sportifs professionnels que les sportifs amateurs.

Dans le milieu amateur, les moyens ne sont pas suffisants pour repérer ces commotions. Les blessés se retrouvent bien souvent isolés face à des médecins de ville non formés pour reconnaître les symptômes dont ils souffrent. C'est ce qui est arrivé à Théo, 19 ans, victime d'un choc frontal sur un plaquage. Le début, pour lui, d'un long chemin de croix : "Quelques mois après ma blessure, j’ai commencé à avoir des troubles du sommeil, j’avais des vertiges, je perdais la mémoire. Cela a duré une bonne année comme cela, à ne plus pouvoir rien faire", raconte le jeune homme, qui, face à l’incompréhension des médecins et aux moqueries, finit par tomber en dépression.

"On m’envoyait à droite, à gauche, jusqu’au jour où un médecin m’a dit de marcher dans sa salle, ce que j’ai fait. Il en a conclu que je n’avais rien, comme si j’étais un menteur alors que moi, je n’avais qu’une envie, pouvoir courir, retourner sur un terrain pour rejouer au rugby", explique-t-il.

"Tu te casses la clavicule : tu montres la radio, ça se voit, tu es pris au sérieux. Là, c’est invisible et tu passes pour un menteur."

Théo, joueur de rugby amateur

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Aujourd’hui, huit ans après sa blessure, Théo erre encore de médecin en médecin pour soigner ses douleurs, des pertes d’équilibre inexpliquées aussi. Il est parfois contraint, lorsqu’il conduit, de s’arrêter au bord de la route pour reprendre ses esprits. Il n'a jamais pu rejouer au rugby. 

Isolement, manque d'accompagnement...

Jean-Baptiste, 34 ans, a été victime du "syndrome du second impact", c’est-à-dire d’une première commotion : "Personne n’a rien vu, j’ai joué mon match normalement". Puis, d’un deuxième choc quelques semaines plus tard : "Là, vers la fin du match, j’ai subi un déblayage au niveau de la tête, j’ai ressenti une vive douleur à la mâchoire, j’ai fini le match sans me rappeler comment, je devais enchaîner avec un autre match mais j’ai été pris de vomissements".

Jean-Baptiste finit à l’hôpital, son pronostic vital est même un temps engagé. Aujourd’hui, six mois plus tard, après une longue rééducation, il est toujours en arrêt maladie, un peu perdu dans son quotidien et n’a pas l’autorisation de conduire.

Au moins 100 000 cas par an

Ce sont ces nombreux témoignages qui ont poussé l'avocat Antoine Semeria à créer l'association Alerte Commotions, qui tiendra sa toute première assemblée générale le 16 juin prochain. Son but : apporter aux victimes une aide autre que judiciaire. "Créer un groupe de paroles pour que les personnes victimes de commotions, issues de différents sports, puissent se rencontrer, raconter leur parcours, leurs problèmes sans tabou, sans peur du regard des autres", confie l'avocat.

Conseiller aussi. "Les témoignages que je reçois, ce sont des victimes de commotions qui n’ont aucun suivi médical, qui ne savent pas où aller. C’est inquiétant. Il faut aller plus vite, mener des actions de sensibilisation", ajoute-t-il. On estime le nombre de commotions cérébrales, tous sports confondus en France, à au moins 100 000 cas par an, "un chiffre en constante augmentation et certainement sous-évalué pour un véritable enjeu de santé publique", indique l'éminent neurologue Jean-François Chermann.

"On ne peut plus laisser les victimes seules. Il faut qu’elles puissent partager leur quotidien. Il faut mener des actions de prévention, de sensibilisation."

Antoine Semeria, avocat et fondateur de l'association Alerte Commotions

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Dans le rugby, l'un des premiers sports à avoir pris conscience du problème, des initiatives sont régulièrement lancées. Cette semaine, encore, la fédération internationale annonce de nouvelles expérimentations dans plusieurs pays à travers le monde pour abaisser la hauteur des plaquages dans le rugby amateur : interdiction de plaquer au-dessus du sternum. Mais le retour d’expérience n’aura pas lieu avant début 2025. 

Alors, en attendant, si on commençait déjà par appliquer tout simplement les règles du jeu ? C’est ce que demande Philippe Chauvin dans son livre Mourir fait partie du jeu, publié aux Editions du Rocher. L’un de ses enfants, Nicolas, est mort en 2018, à l'âge de 18 ans, mort des suites d'un double plaquage illicite lors d'un match avec les espoirs du Stade Français face à Bordeaux, la 2e vertèbre cervicale arrachée.

"Les règles que l’on a sont certainement imparfaites mais suffisantes pour protéger les joueurs si elles sont appliquées. Et quand il y a une faute, un geste dangereux, les sanctions doivent être réellement dissuasives, demande Philippe Chauvin. Trois semaines de suspension quand vous avez failli tuer quelqu’un, c’est juste ridicule. Si vous passez à 20 semaines, vous touchez à toute la chaîne économique et, là, cela devient beaucoup plus pénible", continue-t-il.

"Ne rien faire de dangereux ou d'imprudent"

Et Philippe Chauvin se bat aujourd’hui pour qu'une phrase toute simple, mais essentielle, soit recopiée par tous les adhérents sur les licences. Cette phrase, elle est gravée dans les règles du jeu, c'est la règle 9, alinea 11 : les joueurs ne doivent rien faire qui soit dangereux ou imprudent pour autrui.

"Je pense que le fait de la recopier, et je parle de tous les adhérents – joueurs, joueuses, dirigeants, entraîneurs – remettrait dans toutes les têtes que le rugby n’est pas un sport de destruction, ce qu’on entend encore dans certains discours d’entraîneurs, de présidents", préconise-t-il.

"En faisant respecter cette règle, on rassurerait les familles, on aurait plus d’adhérents et on retrouverait un sport d’évitement, un sport intelligent", ajoute cet amoureux du rugby. Une demande formulée à plusieurs reprises auprès des différentes instances françaises, restée lettre morte pour le moment.

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