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Au Royaume-Uni, en Suisse et en Allemagne, comment sont financées les mosquées ?

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir tout ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Ce lundi, les modes de financement des mosquées et la place que peut y tenir l'État.

Article rédigé par franceinfo, Richard Place, Ludovic Piedtenu - Jérémy Lanche
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6 min
Les portes de la mosquée centrale de Cologne, en Allemagne, lors de son inauguration en septembre 2018 en présence du président turc Reccep Tayyip Erdogan. (PATRIK STOLLARZ / AFP)

La place de l'État dans le financement des cultes varie d'un pays à l'autre, et peut permettre aux autorités de garder un oeil sur d'éventuels extrémismes religieux. En France, Emmanuel Macron a annoncé vendredi 2 octobre un renforcement du contrôle du financement des mosquées, ainsi que la fin du système de formation des imams à l'étranger.

Au Royaume-Uni, des dons sans participation de l'Etat

Le Royaume-Uni compte plus de trois millions de musulmans, soit près de 6% de la population. L'islam y est en pleine croissance depuis plusieurs années. Il y a plus de 1 600 mosquées dans le pays, construites avec l'argent de tous ceux qui veulent donner, du particulier avec son petit billet, jusqu’au versement de plusieurs millions de la part d’un riche donateur ou même d’un État. C’était le cas par exemple pour la mosquée de Cambridge inaugurée en 2019. Un magnifique édifice, qui a coûté plus de 25 millions d’euros. Cette somme a été rassemblée grâce à un peu plus de 10 000 dons. Les deux tiers de la facture ont été payés par des donateurs turcs : particuliers, entreprises et même gouvernement. Le reste venait d’un peu partout, le Qatar y est également allé de son versement.

Lorsque l’on parle de mosquée, il ne s’agit pas toujours de bâtiment aussi prestigieux. Cela inclut aussi les petites salles de prière. Évidemment, les investissements ne sont plus du tout les mêmes. À aucun moment le gouvernement britannique ne participe au financement de la construction. En tout cas pas de manière directe, mais les donateurs ont le droit de défiscaliser leur investissement. C’est vrai pour l’islam comme pour les autres religions du pays.

Il n'y a pas de contrôle de l'origine des fonds, mais une invitation ferme à celui ou ceux qui mènent le projet de se conformer à la loi, et ne pas accepter d’argent sale par exemple. Ensuite, comme dans n’importe quelle transaction, les autorités peuvent s’intéresser de plus près à des mouvements financiers qui leur sembleraient douteux.

Il y a également le conseil musulman britannique, la plus grande organisation musulmane du Royaume-Uni, qui propose un accompagnement, des conseils détaillés pour ne pas accepter de dons qui se révéleraient ensuite contraignants. Par exemple des donateurs qui voudraient prendre trop de place dans la gestion quotidienne, voire dans l’orientation des prêches.

En Allemagne, un impôt pour les croyants 

En Allemagne, les croyants paient la Kirchensteuer, un impôt quasiment unique au monde. Selon les régions allemandes, le prélèvement varie de 8 à 9% de l'impôt sur le revenu versé à l’État, pour les catholiques, protestants ou personnes de confession juive. Tous les croyants, sauf les musulmans, donc. Cet impôt permet à l’État de financer les cultes. Ce qui est donc à l’opposé du système français de séparation des églises et de l’État et du concept de laïcité en vigueur depuis la loi de 1905.

En Allemagne, s’il y a officiellement séparation dans la Constitution, les deux entités sont partenaires. L’État finance les hôpitaux et organismes sociaux gérés par des communautés religieuses. Les jours fériés chrétiens sont protégés par la loi fondamentale, et personne ne travaille. Le parti au pouvoir, la CDU d’Angela Merkel, s’appelle d'ailleurs l’Union chrétienne-démocrate. Dans la plupart des Länder, les régions allemandes, les élèves des écoles publiques ont des cours de religion.

Les dispositions de la Kirchensteuer datent d’une époque où la grande majorité des Allemands étaient membres d’une église chrétienne. L’État cherche depuis quelques années à intégrer l’islam en établissant des contrats avec les différentes mosquées ou associations musulmanes. Sauf que cette communauté religieuse est organisée différemment des églises chrétiennes, et n’a pas, par exemple, de liste de ses membres. C’est une difficulté pour établir un tel impôt.

À travers ce projet, le gouvernement cherche à tarir les sources de financement d’un islam politique, voire radical. Plusieurs courants, venus de Turquie, d'Arabie Saoudite ou d'Iran tentent de gagner en influence en Allemagne. La scène salafiste a gagné du terrain ces dernières années outre-Rhin, elle est estimée à 12 000 adeptes. Les autorités et le renseignement allemand surveillent de près, mais restent assez impuissants face à deux organisations en particulier. D'abord Ditib, une association musulmane turque très puissante contrôlée depuis Ankara et qui a financé intégralement la plus grande mosquée du pays et l’une des plus grandes d’Europe, inaugurée en 2018 à Cologne en présence du président turc Erdogan. Ensuite, le centre islamique de Hambourg au sein de la très belle mosquée Imam Ali, l’une des plus anciennes d’Allemagne, la plus grande représentation des chiites iraniens, avec qui elle a signé un contrat avec la ville. Contrat qui n’empêche pas certains prédicateurs radicaux de diffuser des discours de haine et de recruter parmi les fidèles. C’est depuis Hambourg qu’ont été planifiés et menés les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

En Suisse, le secret des sources de financement

La Suisse compte environ 300 mosquées. Les musulmans représentent environ 5% de la population totale. La loi sur les associations n'impose pas aux lieux de culte de divulguer leurs sources de financement. La Fédération des organisations islamiques de Suisse (FOIS) assure que dans la grande majorité des cas, l'argent vient du pays. Mais des États financent ou ont financé des mosquées. C'est le cas du Qatar, proche des Frères musulmans ou encore de la Turquie, qui paie les salaires de plusieurs imams par le biais d'une fondation proche du président turc Reccep Tayyep Erdogan. C'est également le cas de l'Arabie Saoudite, dont le roi avait même inauguré la plus grande mosquée de Suisse, celle de Genève. Mais Riyad a annoncé en début d'année qu'il n'allait plus financer de mosquées à l'étranger, sans doute échaudé par les affaires de radicalisation. À Genève, quatre fidèles de la mosquée, dont deux imams, étaient ainsi fichés S par les autorités françaises.

Face au manque de transparence dans le financement, les autorités sont divisées.  En 2017, le Parlement avait voté l'interdiction du financement étranger des mosquées. Mais le texte a été retoqué par la chambre haute qui y voyait une discrimination à l'encontre des musulmans. Une des solutions pourrait être de créer un impôt pour financer l'islam de Suisse. C'est déjà le cas pour la religion chrétienne, avec l'impôt ecclesiastique. Il est directement prélevé sur le revenu des Suisses qui se déclarent croyants. Mais il faudrait pour cela que l'islam soit reconnu officiellement par la Suisse. Et 60% de la population, selon un sondage de 2016, y est opposé.

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