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Comment est perçu au Liban et en Israël l'accord "historique" délimitant leur frontière maritime

Dans le club des correspondants, franceinfo s'intéresse à l'actualité vue de l'étranger. Aujourd'hui, direction Israël et le Liban où un accord "historique" réglant leur différend frontalier maritime a été signé.

Article rédigé par franceinfo - Alice Froussard et Noé Pignede
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le président libanais Michel Aoun (à droite) et le médiateur américain Amos Hochstein au palais présidentiel de Baabda, à l'est de Beyrouth, le 27 octobre 2022. (DALATI AND NOHRA / AFP)

Le Liban et Israël, des pays voisins et officiellement en guerre, signent jeudi 27 octobre un accord "historique" réglant leur différend frontalier maritime. Obtenu par le biais d'une longue médiation américaine, il doit lever les obstacles à l'extraction d'hydrocarbures en Méditerranée orientale et assurer la répartition de précieux gisements gaziers offshore.

En Israël, des motivations diplomatiques et sécuritaires

Selon les mots du Premier ministre Yair Lapid, "c’est un accomplissement politique". Il le précise, cet accord "renforce la sécurité, la liberté d'action d'Israël contre le Hezbollah et les menaces du Nord", "ce n’est pas tous les jours qu’un pays ennemi reconnaît de fait Israël, à l’écrit et devant toute la communauté internationale", explique-t-il. Il est vrai, les motivations d’Israël sont d’abord diplomatiques et sécuritaires mais des avantages économiques sont attendus de l’exploitation des gisements. Car Israël a besoin de gaz, cet accord est donc une manière de réduire sa dépendance énergétique, de réduire aussi le coût de l’énergie et de doper les exportations vers l’Europe qui en a besoin depuis le début de la guerre en Ukraine. Et puis, il était temps, pour le gouvernement de Yair Lapid, de signer cet accord à quelques jours des élections législatives israéliennes prévues mardi 1er novembre : le Premier ministre sortant entend logiquement capitaliser sur cette avancée.

Mais tout le monde ne se réjouit pas de cet accord. Début octobre, l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou avait promis de torpiller cet accord s’il revenait au pouvoir. Il estimait que cela était une "capitulation historique" face au Hezbollah. Certaines organisations de droite avaient alors déposé des recours à la Cour suprême contre l’accord maritime, de recours qui ont été rejetés. Depuis, l’idée semble plutôt séduire surtout dans sa capacité à "stabiliser" les relations avec le Liban. Selon un ex-général de l’armée israélienne, l’accord implique surtout la reconnaissance d’une frontière, maritime certes, mais qui, espère-t-il, pourrait mener à une reconnaissance future d’une frontière terrestre que le Liban n’a jamais reconnu. Quant à la tenue de cet accord dans la durée, "rien n’est encore gagné" tempère une source diplomatique. "C’est un accord sur le texte, qui tient grâce à ses ambiguïtés, et qui reste structurellement fragile", développe-t-il. Tout dépendra aussi de la quantité de gaz dans les gisements et de la répartition faite de ce dernier.

Au Liban, des bénéfices économiques illusoires pour la population

Dans la classe politique en place, et notamment du côté du président Michel Aoun, on se félicite à longueur de déclarations de cet accord historique. Pour le président qui termine son mandat dans quatre jours il s'agit d'une bonne nouvelle, pour tenter de faire oublier son bilan catastrophique : le blocage politique est total, l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth est au point mort, et 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. Cet accord, c’est donc surtout une façon pour Michel Aoun de partir la tête haute.

Il est vrai que d’un point de vue politique et diplomatique, cet accord est historique : pour la première fois, le Hezbollah qui contrôle la zone sud où se trouve justement cette frontière maritime a donné tacitement son aval pour signer un accord avec son ennemi de toujours. C’est quasiment une reconnaissance de l’État hébreu par la très puissante milice chiite. Certains craignaient une nouvelle guerre, ou en tout cas un regain de tensions entre le Hezbollah et Israël. Cet accord devrait apaiser, au moins pour un temps, la situation entre les deux rivaux, officiellement toujours en guerre.

Du côté des libanais, au mieux ils n'en pensent pas grand-chose, et au pire, pas beaucoup de bien. Avec cet accord, beaucoup de politiciens leur prédisent un avenir radieux pour le Liban grâce au gaz qui se trouverait dans la zone négociée. Du gaz qui permettrait au pays d’engranger des milliards de dollars. Ils promettent une sortie de la crise économique. Sauf qu’en fait, personne ne sait encore s’il y a du gaz en quantité suffisante, s’il est exploitable et encore moins rentable. Il va falloir attendre au moins un an pour que TotalEnergies rende son verdict. Pour l’instant, c’est donc de la communication sur des profits complètement hypothétiques. Les Libanais ne s’y trompent pas et même si dans cinq ou six ans, le temps de construire les infrastructures, le Liban devient un grand pays exportateur de gaz, la plupart des gens ici savent bien que presque qu’aucun citoyen ne bénéficiera de cette manne financière. Le pillage des ressources naturelles et les détournements de fonds publics, ce sont des sports nationaux ici. Alors si gaz il y a, l’argent ira vraisemblablement dans les poches des dirigeants politiques corrompus. Toujours les mêmes… Il n’y a donc pas grand monde au Liban, à part quelques partis politiques, pour se réjouir de cet accord frontalier.

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