Égypte, Chine et Turquie : comment la France gère-t-elle ses liens diplomatiques avec des pays qui bafouent les droits de l'Homme ?
Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction l'Égypte, la Turquie et la Chine, des pays régulièrement critiqués pour leur atteinte aux droits humains. Mais à ce sujet, la France ne réagit pas de la même manière.
Comment les atteintes aux droits de l'Homme dans certains pays pèsent sur les relations diplomatiques de la France ? Question posée alors qu'Emmanuel Macron a reçu lundi 7 décembre à l'Élysée le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. Le président français a plaidé en faveur d'une "ouverture démocratique" et d'"une société civile active", dans un pays accusé par les ONG de bafouer les droits humains. Mais pas question, pour le chef de l'État français, de conditionner le partenariat stratégique bilatéral à cette question.
En Égypte, les droits de l'Homme loin d'être une priorité pour la France
Emmanuel Macron a déjà reçu Abdel Fattah al-Sissi à l’Élysée, en 2017. Le chef de l’État français disait alors ne pas avoir de leçon à donner sur les droits humains. Aujourd'hui, le ton a changé sur la forme, mais pas vraiment sur le fond. La diplomatie française prône désormais un dialogue franc et exigeant sur cette question des droits de l’Homme. Emmanuel Macron l’a rappelé lundi, il s’agit de se concentrer sur des cas individuels de prisonniers politiques. En réalité, les résultats sont minimes, voire quasiment nuls.
"Les droits de l’Homme, ce n'est pas quelque chose d’abstrait, explique Mohamed Lotfy, un activiste égyptien. C'est la vie de gens pour de vrai. Ce sont des gens qui ont des opportunités qui sont en prison ou qui meurent de torture. Donc ce sont des vraies tragédies qui arrivent tout le temps." Les ONG attendaient un passage du dialogue aux actes. Comme par exemple conditionner les ventes d’armement français à l’Égypte. Emmanuel Macron refuse cette option.
Ne pas en discuter, c'est se mettre la tête dans le sable.
Mohamed Lotfy, activiste égyptienà franceinfo
Comment justifier le fait que cette question soit autant éclipsée ? Au-delà de la défense évidente des intérêts commerciaux français, la position de la France est simple. L’autocrate al-Sissi est un gage de stabilité au Proche-Orient. C’est aussi un allié dans la lutte contre le terrorisme. C’est bien là que se trouve l’hypocrisie de cette position : la lutte antiterroriste est une arme aux mains du régime égyptien pour réprimer ses opposants. Et notamment les défenseurs des droits humains.
En Turquie, les claires condamnations de la France
S’il est un pays, en revanche, dont la France n’hésite pas à dénoncer les atteintes récurrentes aux droits et libertés, c’est bien la Turquie du président Recep Tayyip Erdoğan. Les tensions entre Paris et Ankara sont allées crescendo depuis l’année dernière. Emmanuel Macron souhaite désormais que l’Union européenne impose des sanctions à la Turquie. Il s’agirait, en l’occurrence, de sanctionner la politique étrangère du président Erdoğan, notamment ses recherches de gaz naturel dans des zones de la Méditerranée, revendiquées par la Grèce et Chypre.
Mais il est vrai que la France condamne aussi régulièrement les atteintes aux droits de l’homme en Turquie, des atteintes qui se sont nettement aggravées ces cinq dernières années. Emprisonnement de journalistes, de défenseurs des droits humains, de l’homme politique kurde Selahattin Demirtas ou du philanthrope Osman Kavala… Paris suit de très près un certain nombre de dossiers, et cela ne passe pas inaperçu à Ankara.
L’attitude de la France suscite en effet la colère de Recep Tayyip Erdoğan, qui attaque personnellement Emmanuel Macron. La semaine dernière encore, il a dit espérer que la France "se débarrasse" de son président. Le ton à l’égard de la France est outrancier, volontairement provocateur, puisqu’il s’agit aussi, pour Recep Tayyip Erdoğan, de s’adresser à son opinion publique. Toutefois, le président turc dénonce depuis longtemps ce qu’il considère comme "l’hypocrisie" de l’Occident, cette politique du "deux poids, deux mesures". Cela vaut pour la plupart des pays occidentaux, mais c’est encore plus vrai pour la France en ce moment, dans ce contexte de tensions très fortes.
Cela dit, la particularité de la Turquie par rapport à d’autres pays, c’est qu’elle est toujours officiellement candidate à l’adhésion à l’Union européenne. En tant que telle, elle a donc consenti à être évaluée par l’UE et ses États membres – et critiquée, s’il le faut – notamment en matière de respect des droits de l’homme.
En Chine, la timide voix de la France
En matière de droits de l’Homme, l’un des pays connu pour ses abus est la Chine. Là encore, la voix de la France peine à se faire entendre… quand elle essaie du moins : les jours où Nicolas Sarkozy recevait le Dalaï Lama sont loin (c'était en 2008 et les représailles diplomatiques et commerciales avaient été importantes). Mais face à l’ampleur des abus, notamment l’internement des Ouïghours en camps de rééducation, la France a retrouvé une parole, mais mesurée. En réalité, on a l’impression que Paris n’ose plus vraiment critiquer la Chine en matière de droits humains.
Lors de l’interview présidentielle pour le média en ligne Brut, les questions des internautes ont été nombreuses sur ce sujet des Ouïghours du Xinjiang, cette minorité musulmane de l’ouest de la Chine, dont plus d’un million de membres ont été internés dans des camps de rééducation. Interrogé à ce sujet, le président répond : "Je ne vais pas déclarer la guerre à la Chine, mais je dis les choses, et doit être fait au niveau de l’Europe."
Réalisme géopolitique ou manière de botter en touche, le problème est que l’Europe, pour l’instant, est peu active sur le sujet. Il faut dire que le consensus est pour l'instant impossible, tant que certains pays sont moins regardants sur les droits de l’Homme, et que d’autres, comme la Grèce, dépendent largement de la Chine financièrement. De plus, le chef de l'État le reconnaît, "la Chine est intimidante". La deuxième puissance économique mondiale sait faire payer aux pays qui la critiquent le prix fort. Récemment, l’Australie en a fait les frais : Pékin a réduit drastiquement ses importations.
Face à ces menaces de représailles, seuls les États-Unis osent aller au-delà des critiques, en appliquant des sanctions, notamment sur les entreprises et les dirigeants responsables de la répression au Xinjiang. Il y a quelques jours, les États-Unis ont aussi interdit l’importation de coton du Xinjiang, dont la transformation implique du travail forcé de détenus Ouïghours. Pour l’instant donc, l’Europe est à la traîne.
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