La liberté de la presse au Mexique et en Syrie au cœur du tribunal des peuples de Reporters sans frontières
Reporters sans frontières lance mardi à La Haye un tribunal des peuples pour rendre justice aux journalistes assassinés dans différents pays dont le Mexique et la Syrie. Près de 400 journalistes sont en détention arbitraire selon RSF.
Ce mardi 2 novembre marque la journée internationale de lutte contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes. Depuis 1992, plus de 2 000 sont morts et 9 fois sur 10, les meurtriers ne sont pas poursuivis. Reporters sans frontières lance un tribunal des peuples à la Haye aux Pays-Bas, lieu de la justice internationale. De faux procès en quelque sorte sans valeur juridique mais créés pour dénoncer les défaillances de la justice et faire pression sur les États.
The opening hearing of #ThePeoplesTribunal on the murder of journalists has started in The Hague, in the #Netherlands. Among the famous figures who will testify today: @mariaressa, Nobel Peace laureate, @Irenekhan, @mercan_resifi, @mcaruanagalizia, @caoilfhionnanna. pic.twitter.com/1TuT7gMryk
— Christophe Deloire (@cdeloire) November 2, 2021
Au Mexique, 92% des assassinats de journalistes impunis
Deux journalistes ont été assassinés la semaine dernière au Mexique. Un pays où les crimes de ce genre ont été très nombreux ces dernières années. Le tribunal contre l’impunité des assassinats de journalistes se penchera notamment sur le cas d'un journaliste mexicain tué en 2011, Miguel Ángel López Velasco dit Milo Vela. Des hommes armés avaient fait irruption à son domicile, l’abattant ainsi que sa femme et son fils de 21 ans. Dix ans plus tard sa mort est toujours impunie.
Non seulement les coupables de ce crime n’ont pas été identifiés mais les autorités n’ont pas réussi non plus à faire la lumière sur le mobile de l’assassinat. Milo Vela était reporter et chroniqueur du média régional Notiver, dans l’État de Veracruz. Dans cette zone de l’est du Mexique, la violence liée au narcotrafic et au crime organisé a explosé il y a dix ans. Quelque temps avant sa mort, une organisation criminelle lui avait adressé un message de menaces très explicites : “Des têtes vont rouler et Milo Vela le sait bien”. Son assassinat a été l’un des premiers d’une longue série de crimes contre des journalistes dans le Veracruz : pas moins de 30 assassinats de ce type en dix ans. Plus globalement, 143 journalistes ont été tués pour des raisons liées à leur travail au Mexique au cours des vingt dernières années.
L’impunité est évidemment au cœur de ces affaires, comme le souligne le tribunal des peuples de La Haye. C’est pourquoi le Mexique se retrouve aujourd’hui sur le banc des accusés, pour avoir failli à son obligation de rendre justice dans l’affaire de Milo Vela et dans des centaines d’autres cas. 92% des assassinats de journalistes restent impunis, ce qui situe le Mexique au sixième rang mondial en termes d’impunité des crimes contre la presse selon le Comité pour la protection des journalistes.
En général, les enquêtes sont jugées déficientes, non seulement à cause des failles structurelles du système judiciaire mexicain notamment par rapport au traitement des scènes de crimes, mais aussi parce que les enquêtes, bien souvent, ne prennent pas en compte le travail journalistique des victimes. Ce sont des crimes qui sont traités comme relevant de la sphère privée ou alors les journalistes sont stigmatisés par les autorités qui leur attribuent des liens avec le crime organisé.
En Syrie, un jeune journaliste mort en détention
Le tribunal des peuples de RSF compte aussi enquêter sur la disparition de Nabil Sharbaji, mort alors qu’il était détenu en prison en 2015, près de Damas. Torture, maladie causée par les conditions de détention, exécution, dans l’une des geôles où croupissent des dizaines de milliers de Syriens ? C’est un de ces jeunes Syriens dont le parcours a brutalement pris fin.
Nabil Sharbaji faisait partie du groupe des "jeunes de Daraya", connu pour son militantisme pacifique, et créé bien avant le soulèvement de 2011 contre le pouvoir de Bachar Al-Assad. Ce soulèvement, il y a pris part activement. Il avait été arrêté une première fois lors de la manifestation qui a marqué, à Damas, le début de la révolte syrienne, en mars 2011. Il est ensuite relâché, rejoint Daraya, en banlieue de la capitale. Comme les autres jeunes de son groupe, il prône le refus de la violence et de la vengeance, malgré la répression du régime. Fiancé, il rêve de se marier. Journaliste, il va aussi participer à la création par des jeunes de Daraya d’un site d’information en ligne, Enab Baladi, cela veut dire "les raisins de mon pays". Mais Nabil n’en suivra pas le développement. Il est arrêté à Daraya en février 2012 par les services de sécurité syriens. Transféré dans plusieurs prisons, où il subit des tortures, il vit au milieu de la mort et de la maladie, dans des prisons insalubres. En décembre 2016, Enab Baladi écrit avoir eu la confirmation de son décès, il est mort 18 mois plus tôt.
Pour ses amis de Daraya, ceux qui ont survécu aux arrestations puis au siège imposé par les forces du régime sur la ville pendant plusieurs années, Nabil Sharbaji représentait une autre Syrie possible. Tandis que des jihadistes étaient libérés de prison au tout début du soulèvement, les militants de la société civile ont, eux, été arrêtés, torturés, tués, ou poussés à l’exil.
Ses amis d’Enab Baladi ne l’ont pas oublié. Ils ont rendu hommage plusieurs fois à Nabil, publié des extraits de ses lettres écrites en prison, où résonnait son espoir de sortir de l’enfermement, de survivre. Le site, désormais basé hors de Syrie, fait partie des nouveaux médias arabes, c’est en partie l’héritage de Nabil Sharbaji.
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