Sommet sur l'énergie nucléaire : la relance de l'atome vue d'Italie et de Pologne

Face au défi climatique et aux répercussions de la guerre en Ukraine, une trentaine d'États se réunit à Bruxelles pour relancer le nucléaire. En Italie et en Pologne, qui ne possèdent pas de centrales nucléaires, l'idée semble faire son chemin.
Article rédigé par Bruno Duvic - Martin Chabal
Radio France
Publié Mis à jour
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Les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Cruas-Meysse en Ardèche, en mai 2023. (CELIK ERKUL / MAXPPP)

Les représentants d'une trentaine de pays, dont la Chine, les États-Unis et le Brésil, se réunissent jeudi 21 mars à Bruxelles pour un sommet inédit consacré à la relance de l'énergie nucléaire. Face aux objectifs en matière de climat, mais aussi aux répercussions énergétiques de la guerre en Ukraine, l'atome est de retour. Organisé près de l'Atomium, monument de 1958 faisant de l'atome civil le symbole de l'innovation technologique, ce sommet s'inscrit dans la foulée de la COP28 sur le climat où une vingtaine de pays avaient appelé à tripler les capacités mondiales du nucléaire d'ici 2050.

L'Italie participe à cette réunion, pourtant, elle a fermé ses centrales à la fin des années 80, après la catastrophe de la centrale de Tchernobyl, puis de celle de Fukushima. Elle a massivement réduit la part du gaz russe dans sa consommation, mais elle reste très dépendante de l'étranger. Quant à la Pologne, elle a abandonné un projet de centrale nucléaire à la fin des années 90 et s'apprête seulement à en construire une première. Le pays est encore extrêmement dépendant du charbon pour sa production d'électricité. Et pour l'Italie, comme pour la Pologne, on est loin des objectifs de neutralité carbone affichés par l'Union européenne.

Italie : les députés se penchent sur le rôle du nucléaire dans la transition énergétique

Le sujet de la relance du nucléaire n'est plus tabou en Italie et c'est relativement nouveau. Le pays a abandonné le nucléaire via deux référendums après Tchernobyl et Fukushima. Aujourd'hui, les trois-quarts de sa consommation d'énergie, ce sont des hydrocarbures, massivement importés. Le contexte international, la guerre en Ukraine en particulier, a rebattu les cartes de l'énergie depuis deux ans. L'Italie a massivement réduit la part du gaz russe dans sa consommation, mais elle reste très dépendante de l'étranger. Et puis elle est loin du compte en termes de renouvelables, 20% du mix environ là où l'objectif européen est à plus de 40% en 2030. C'est donc à la fois pour des raisons écologiques, utiliser plus de sources faibles ou nulles en émission carbone, et au nom de la sécurité du système énergétique, que l'on envisage le retour du nucléaire en Italie.

On est encore au stade de la réflexion. Les acteurs de la filière, chercheurs, industriels, politiques ont tenu une première réunion en septembre 2023. Il y a quelques semaines, la commission environnement de la chambre des députés a voté pour une étude sur le rôle du nucléaire dans la transition énergétique. La majorité droite, extrême droite a voté pour, l'opposition de gauche s'est abstenue, il n'y a donc pas d'unité nationale.

Une opinion publique partagée

Il n'est pas question de construire de nouvelles centrales en Italie, assure le ministre de l'Environnement et de la sécurité énergétique. Il mise sur des accords avec des pays producteurs, sur la construction de petits réacteurs. L'État n'aurait qu'un rôle de facilitateur dans leur fabrication et leur implantation. L'Italie s'intéresse aux recherches sur la technologie de la fusion nucléaire. On avance donc avec prudence à Rome.

Au moment de la dernière COP, Giorgia Meloni avait reconnu le retard accumulé en termes de compétence par son pays, 30 ans après la fermeture des dernières centrales. Mais cette compétence n'est pas nulle, l'Italie a eu quatre centrales des années 60 à la fin des années 80. L'opinion est partagée. Un sondage à l'automne dernier dessinait une opinion à 50-50. Demeure une vraie question politique : comment s'asseoir sur deux référendums qui ont acté la fin du nucléaire dans le pays ?

Pologne : trois centrales nucléaires d'ici 2030 et une opinion favorable à 90%

En Pologne, alors qu’on est encore très dépendant du charbon pour la production d’électricité (75%), on commence à regarder vers le nucléaire. Un contrat a d’ailleurs déjà été signé avec l’entreprise américaine Westinghouse fin 2022. Ce sont eux qui devraient se charger de construire la première centrale nucléaire du pays, et même trois d’ici 20 ans. Et ce, au grand dam des Français d’EDF qui s’étaient positionnés sur le projet. La centrale devrait être construite sur les bords de la mer Baltique, au nord du pays. Quasiment au même endroit où la première centrale du pays aurait dû être construite dans les années 90. Mais le traumatisme de Tchernobyl avait mis fin à ce projet.

Cette fois, la Pologne est prête à passer au nucléaire, d'autant plus que la guerre en Ukraine a montré les limites du charbon. Il a fallu stopper la majeure partie des importations russes, et l’hiver 2023, quelques pénuries de charbon ont déstabilisé la production d’électricité. Et en plus de ça, l’Union européenne vise la neutralité carbone, ce qui est impossible avec le charbon. Ce nouveau projet de centrale nucléaire divise bien moins qu'avant les Polonais. Le dernier sondage sur la question du nucléaire confirme que près de 90% des gens soutiennent la construction d’une centrale nucléaire dans le pays, c’est assez impressionnant.

Les centrales à charbon soutenues au moins jusqu'en 2028

Les détracteurs viennent plutôt du monde scientifique. La centrale devrait être refroidie avec l’eau de la Baltique. C’est une solution moins chère et plus efficace que d’installer de grandes tours de refroidissement. Mais l’eau qui va être rejetée à la mer sera 10 degrés plus chaude et devrait faire augmenter la température sur plusieurs kilomètres. Cela pourrait déstabiliser l’écosystème, dans une zone connue pour la pêche. Mais cet argument a été écarté parce que changer de site ferait prendre 10 ans de retard aux travaux.

La nouvelle coalition au pouvoir, qui avait pourtant promis d’accélérer la transition énergétique, se rend compte qu’elle ne peut pas se passer du charbon pour l’instant. Le 20 mars, le ministère chargé des infrastructures énergétiques a même annoncé que la Pologne allait devoir continuer à soutenir les centrales à charbon au moins jusqu’en 2028. Et la Pologne espère même négocier des aides avec Bruxelles le temps que la centrale nucléaire soit opérationnelle. Passer du charbon au nucléaire se révèle finalement plus compliqué que prévu pour le nouveau gouvernement polonais.

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