Le décryptage éco. Quand les Roumains se soulèvent contre la corruption
En Roumanie, d’immenses manifestations secouent le pays depuis trois jours. En cause, un décret qui assouplit la législation contre la corruption.
Les Roumains manifestent en masse depuis mercredi 1er février. Ils protestent contre un décret qui assouplit la législation contre la corruption. C’est important, et c'est révélateur des tensions de notre époque.
La défense d'un idéal européen
Jamais on n'a vu autant de monde dans la rue en Roumanie depuis la chute du dictateur Ceausescu, en décembre 1989. Jamais les Roumains n’ont pas occupé les places et les avenues du pays avec autant de détermination, de courage, d’obstination depuis plus d’un quart de siècle. Et Dieu sait qu’il y en a eu, des manifestations, dans ce pays.
Ce qui est impressionnant, et même réjouissant, c’est que les Roumains défendent ce qu’ils ont aujourd’hui de plus cher : une certaine idée de l’État de droit, une certaine idée de la démocratie et de la justice. Les Roumains défendent en un mot un idéal européen.
Une dépénalisation de la corruption
Ce qui les a jetés dans la rue, et ils étaient encore nombreux dans la nuit du 2 au 3 février à Bucarest, c’est un décret que veut imposer le gouvernement, qui se dit social démocrate, mais qui est en fait issu du vieux parti communiste roumain. Ce gouvernement veut donc imposer un décret qui garantira une impunité aux personnes suspectées ou même déjà condamnées dans des affaires de corruption.
Une forme d’amnistie générale, une immense opération de blanchiment judiciaire, qui pourrait permettre la libération de 2 500 personnes actuellement en prison et refermer 1 500 dossiers dans lesquels sont confondus des hauts-fonctionnaires, des hommes politiques et des personnalités roumaines.Trois ordonnances prises en catimini lundi 30 janvier, dans la soirée, limitent désormais drastiquement le pouvoir des procureurs et des juges. Ces décisions funestes ont suscité une colère et une ferveur d’indignés qui secouent désormais tout le pays.
Un gouvernement qui s’acharne
Il y a d’abord un contexte politique en Europe très inquiétant, avec une tentation autoritaire des régimes en place en Europe de l’Est, en Hongrie, en Pologne et désormais en Roumanie. En Roumanie, à l’évidence, le gouvernement socialiste veut protéger les siens, à commencer par le président du parti, dont le procès a commencé mardi dernier. Il accusé d’avoir mis en place un système d’emplois fictifs, et il a déjà été condamné pour fraude électorale.
Mais cette affaire nous ramène tout droit à l’économie : si les Roumains ont réagi en masse, c’est qu’ils ont le sentiment que le gouvernement veut saborder et réduire à néant la transformation profonde de ce pays, qui est en train de s’arracher à la pauvreté et de décoller enfin. Autant dire qu’après la chute de Ceausescu, un pays entier était à rebâtir, une nation même, tant la folie paranoïaque du Conducator avait abîmé la société dans ce qu'elle a de plus intime, et dégradé toutes les relations sociales.
À force de courage, c’était en train de marcher : des réformes ont jeté les bases d’une nouvelle Roumanie. 5% de croissance en 2016, un chômage sous la barre de 7%, un déficit public sous contrôle, un salaire moyen en forte augmentation, des investisseurs étrangers attirés par la qualité et le coût de main d’œuvre, bref, un rattrapage économique était à l’œuvre. Et c'est cette transformation là que les Roumains veulent préserver. D’autant que cette transformation s’était accompagnée d’une lutte sans précédent et sans merci contre la corruption, avec là aussi, pour la première fois, des résultats tangibles.
Pression populaire au maximum
Une épreuve de force a commencé, dont l’issue est malheureusement incertaine. La pression populaire est forte, elle semble solide, le soutien aux juges et aux procureurs est massif. L’Europe, notamment à l’initiative de la France a commencé à bouger et à protester, elle aussi, contre les projets liberticides du gouvernement roumain. Un gouvernement qui veut ramener le pays un quart de siècle en arrière.
L’Europe a une arme : la Roumanie bénéficie de 44 milliards d’euros de fonds structurels octroyés par la Commission. L’intérêt des Roumains est celui de toute l’Europe. Et c’est pour ça qu’il nous faut garder les yeux bien ouverts sur ce qui se joue, ces jours-ci, en Roumanie.
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