"Mes années Harcourt", de Pierre-Anthony Allard
Un livre de souvenirs plein d’humour et d’émotion. *[Mes années Harcourt* ](http://www.le-passeur-editeur.com/les-livres/documents-t%C3%A9moignages/mes-ann%C3%A9es-harcourt/), de Pierre-Anthony Allard est publié aux éditions Le Passeur (240 p., 19€) – Note : *****
Extraits du livre
*L'entrée dans la lumière
"J'ai fait mon entrée au Studio Harcourt à l'âge de 3 ans et 7 mois.
L'aréopage de femmes qui m'entourait Ginou, ma mère, mes soeurs Gaudie et Nanou, ma grand-mère maternelle Suzon et ma tante Jacqueline avaient débarbouillé ma frimousse et discipliné mes boucles rousses rebelles avec un soupçon de gomina. Une raie partageait mes cheveux soigneusement aplatis. La chemisette légèrement entrouverte laissait apparaître la médaille de baptême. Puisqu'il faisait frais, la maisonnée opta pour me faire enfiler un chandail, ainsi que Suzon, qui était d'une autre génération, appelait encore les pull-overs dans les années 1960. Je n'ai pas oublié la petite sensation désagréable de la laine shetland qui me grattait la peau à travers le tissu. On m'embarqua dans la voiture familiale et nous quittâmes notre modeste banlieue de Bécon-les-Bruyères pour Paris.
L'hôtel particulier de l'avenue d'Iéna, dans le 16e arrondissement, abritait encore à cette époque les locaux du Studio Harcourt. Les fondateurs, les frères Lacroix, s'y étaient installés en 1939. Un quart de siècle plus tard, la technique Harcourt était en plein déclin mais le protocole d'accueil gardait son faste d'antan. Un voiturier avait galamment ouvert à ma mère la portière du véhicule et avait pris les clés afin d'aller la garer, tandis que nous étions guidés à l'intérieur du sanctuaire. Le bâtiment avait été construit en 1897 par un architecte parisien, Paul-Ernest Sanson, qui essaima de nombreuses et somptueuses résidences le long des rues de la capitale. L'hôtel particulier du 49 avenue d'Iéna, destiné au collectionneur Maurice Kann, avait été construit dans la foulée de celui commandé par son frère Rodolphe, qui occupait la parcelle voisine. Jusqu'à la mort et la dispersion par son héritier des collections du propriétaire, les murs de la résidence avaient été couverts de tableaux de maîtres. Avec l'installation du Studio Harcourt, les photographies de vedettes du cinéma et de la chanson avaient remplacé les oeuvres des peintres Boucher, Rubens, Chardin et Rembrandt.
Le petit bonhomme que j'étais s'arrêta au pied de l'escalier central monumental, alliant la pierre au marbre, éclairé par des lustres de cristal. Son gigantisme, dont la démesure impressionnait également les adultes, s'imprima dans ma mémoire. Ma mère me remit en route d'une petite tape gentille dans le dos et nous montâmes dans les étages. Clientèle ordinaire, nous ne fûmes pas conviés dans les salons prestigieux réservés aux personnalités, mais dans des studios de taille plus modeste qui convenaient à notre statut. En parcourant les couloirs, j'ai le souvenir diffus des fresques étranges qui décoraient les murs. Des femmes à moitié nues, enveloppées de voiles, accompagnées d'un bestiaire fantastique évoluaient dans des jardins merveilleux. Ces apparitions des créatures surprenantes du peintre Claude Schürr me plongeaient dans un monde irréel et conféraient un caractère magique à ce rendez-vous inhabituel. À l'échelle d'un enfant, le plateau de la prise de vue m'apparut monstrueux. Il me semblait, à l'instar d'Alice au pays des merveilles, avoir avalé le gâteau qui rétrécissait ma taille. J'étais un petit lutin roux perdu dans un monde de géants. Une immense boule qui dispensait la lumière attira mon attention. Le photographe ne réussit jamais à me faire adopter une autre position que celle qui me tournait vers l'éclairage. J'étais ensorcelé.
Cette fascination pour la lumière ne m'a plus jamais quitté."*
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