Alain Chamfort : "C'est par ses actions qu'on se révèle, par les choix qu'on fait"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Cette semaine, c’est l’auteur, compositeur et chanteur, Alain Chamfort qui remonte le fil de ses 5O ans de carrière avec cinq de ses chansons.
Alain Chamfort, auteur, compositeur et chanteur passe cette semaine, avec nous, dans Le monde d'Elodie pour revenir sur les moments marquants de sa carrière à travers cinq de ses chansons incontournables. Depuis ses débuts dans les années 60 avec Jacques Dutronc, Alain Chamfort fait partie du paysage musical français. Il traverse les modes avec constance et est considéré comme une icône pop avec des touches mélancoliques. Plus de cinq décennies que ses mots, sa voix, son écriture, ses compositions nous accompagnent.
Depuis peu, 17 de ses plus grands titres ont été réarrangés par Nobuyuki Nakajima, avec 51 musiciens de l'Orchestre national de Montpellier-Occitanie et réunis dans un album : Symphonique dandy.
Dans ce quatrième épisode, il revient sur la chanson Les beaux yeux de Laure.
franceinfo: Après votre collaboration avec Serge Gainsbourg, il y a eu des titres marquants comme Clara veut la lune (1993) et L'ennemi dans la glace (1993) et j'ai l'impression qu'il y a eu une période de flottement qui n'a pas été simple au début des années 90.
Alain Chamfort : C'était mes débuts avec Jacques Duvall. Jacques était un garçon sur la réserve, un garçon avec lequel le temps était nécessaire pour créer une vraie complicité, un vrai lien. Il a besoin de savoir véritablement à qui il a affaire. On a mis du temps à s'apprécier et à se découvrir et il fallait passer par là pour évacuer la pudeur, déterminer cette ligne de contour qui permettait d'exprimer des choses qu'on n'avait pas forcément eu l'occasion d'exprimer entre nous.
Moi, je ne suis pas quelqu'un qui exprime ce qu'il ressent. Je suis un peu dans la retenue.
Alain Chamfortà franceinfo
Ça a été magnifique parce que c’était quelqu'un qui exprimait, non pas de la méfiance, mais une certaine distance dans ses rapports aux autres et notamment avec moi, heureusement qu'il y avait un autre personnage qui s'appelait Marc Moulin. Marc Moulin était mon associé musical, mon coréalisateur, le garçon qui était très proche de Jacques et il a fait le même travail que Jane (Birkin) avait fait avec Gainsbourg. Il a amené Jacques à me découvrir et à me faire confiance. Cette amitié est née sur le temps, elle est un indéfectible. Même si on ne travaille plus ensemble parce qu'il n’a plus envie d'écrire pour l'instant, ça nous a vraiment permis de créer quelque chose d'unique et tout ça dans la confiance et dans l'amitié la plus totale. Plus on a collaboré ensemble, plus nos chansons sont allées au cœur de ce qu'il fallait.
Du sur mesure. L'ennemi dans la glace va être récompensée par une Victoire de la musique du meilleur vidéoclip en 1994, réalisé par Jean-Baptiste Mondino et pourtant, ça va être très compliqué avec les maisons de disques. Vous disiez que les maisons de disques se nourrissaient des succès, mais qu'effectivement, quand il n'était pas au rendez-vous sur certains albums, ça pouvait avoir un effet très dur. Comment vous l'avez vécu ?
Ce qui s'est passé, c'est que la crise du disque s'est mise en place de manière un peu sournoise. Nous, artistes, on ne s'en rendait pas vraiment compte. On sentait que les disques se vendaient un petit peu moins, qu'il y avait moins d'investissements sur le marketing, etc. On ne connaissait pas véritablement les raisons et petit à petit, elles se sont mises au grand jour. Moi, je venais de signer un contrat chez EMI avec des conditions tout à fait légitimes au bout d'un certain temps et qu'on a fait suffisamment ses preuves, etc. Donc, c'était un contrat dans lequel ils s'engageaient vraiment à investir des moyens importants pour que je puisse faire les trois albums qui étaient l'objet de ce contrat. Est arrivé à la tête de mondiale d'EMI, un Français, Alain Lévy. Il a donné l'ordre, à l'ensemble de ses succursales mondiales, de procéder à des plans sociaux et des restitutions de contrats dans lesquelles ils engageaient trop de moyens. J'ai appartenu à ses charrettes-là.
Je venais de signer un contrat et trois mois après, on me l'a rendu, de manière un peu brutale, comme quand ils ont aussi libéré une partie de leurs employés. Des gens qui étaient à leur service depuis des années, en 24 heures, ils ont été éjectés. Dans ces cas-là, on ne fait pas vraiment de sentiments et il n'y a pas de raison que les artistes échappent à ça non plus. Mais voilà, je ne m'y attendais pas et effectivement, ça a été un peu une période violente. Surtout que tout s'écroulait, c'est-à-dire que je ne savais plus ce que j'allais faire après, puisque là, j'avais un projet sur trois albums, sur des années. Donc comme je suis assez lent à les faire, je repartais de zéro, je n'avais plus de contrat, je n'avais plus rien, je n'avais plus de moyens, donc ça a été effectivement un moment qu'il fallait passer. Mais il est passé.
En même temps, vous avez su rebondir. En 2004 sort : Les beaux yeux de Laure, Victoire de la musique du meilleur vidéoclip l'année suivante. Une revanche, une bulle d'oxygène aussi pour vous ?
C'est tout à fait étrange. J'exprimais dans ce clip, ma situation au regard de ce que devenait ce métier et malgré tout, ce sont eux qui votent, ce sont les responsables des maisons de disques qui votaient donc, c'était un peu une situation de ne plus savoir exactement si je devais apprécier cette Victoire ou pas. Enfin, toujours est-il que ça a été le moyen d'exprimer ce que je devenais d'une manière frontale comme ça, et de l'exprimer au public surtout, avant de l'exprimer aux gens de la profession. Et je crois que ça a aussi permis aux gens de comprendre un peu mieux qui j'étais. C'est par ses actions qu'on se révèle, par les choix qu'on fait. Ce choix-là était assez politique, assez particulier et assez fort.
Alain Chamfort sera en concert le 3 juin à Vannes etc…
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