"Avec cette chanson, c'est la première fois que je passe à la radio" : Bernard Lavilliers raconte son tube "Stand The Ghetto"

L’auteur, compositeur et interprète, Bernard Lavilliers, est l’invité exceptionnel du Monde d'Élodie Suigo du 19 au 23 août 2024. Cinq jours, cinq chansons pour mieux connaître cet artiste indomptable, engagé, imprégné par les harmonies musicales et humaines.
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 13 min
Bernard Lavilliers, à Bruxelles en décembre 2021. (ERIC GUIDICELLI / MAXPPP)

Bernard Lavilliers est l’invité exceptionnel du Monde d'Élodie toute cette semaine. L'occasion de revenir sur cinq moments forts de sa vie avec cinq chansons de son répertoire. Bernard Lavilliers, auteur prolifique, compositeur et interprète depuis 1965, n'a jamais cessé de nous faire voyager en mélangeant le rock, le reggae, la salsa, la bossa-nova et la chanson française. Fensch Vallée (1976), La Samba (1975), Saint-Étienne (1975), Stand The Ghetto (1980), Kingston (1980), Idées noires (1983) ou encore On the Road Again (1988) autant de chansons devenues pour la plupart des hymnes, la parole de celles et ceux qui ne se faisaient pas et ne se font pas entendre, un arrêt sur image sur certains conflits ou périodes difficiles.

En novembre dernier, le Stéphanois à la voix et au phrasé si emblématiques, sortait un album : Métamorphose et un livre : Écrire sur place aux Éditions des Équateurs. Il sera en concert fin septembre.

franceinfo : En 1976, sort l'album Les Barbares. La puissance des titres qui le composent séduit Eddie Barclay. Cette rencontre va changer le cours de votre vie.

Bernard Lavilliers : Ah oui, complètement. Je n'ai jamais été le fils adoptif d'Eddie Barclay. Je n'allais pas à Saint-Tropez. Je le voyais très rarement. Il se trouve que Richard Marsan était directeur artistique et disons que c'est lui qui m'a emmené chez Eddie Barclay, qui m'a donné les moyens, une avance sur recettes, attention, pas un cadeau, de faire de la vraie musique, d'avoir un vrai camion et des vraies affiches. Tout ce que n'avait pas le producteur Francis Dreyfus. J'avais trouvé un groupe, décidé à passer à l'action, c'est-à-dire à faire des concerts, n'espérant rien des radios ni de la télévision à l'époque. On a fait énormément de concerts. On faisait aux alentours de 300 concerts par an, un truc comme ça.

L'album sort en 1976. L'année suivante, vous passez pour la première fois à l'Olympia. Au même moment, vous allez rencontrer Léo Ferré. Ça a été immédiat entre vous, il est devenu vraiment votre mentor, quelqu'un qui compte.

Ce n'est pas mon mentor.

"J'ai beaucoup d'admiration pour Léo Ferré, mais on était surtout comme deux poètes anarchistes avec beaucoup d'humour."

Bernard Lavilliers

à franceinfo

Léo avait l'air fâché tout le temps, mais il était très drôle. Il a dit des choses fondamentales pour moi souvent dans des chansons et d'autres fois dans des textes très longs. Il a dit des choses qui existent toujours, donc tout un tas de choses qui nous rapprochent encore aujourd'hui, même s'il est mort, c'est comme s'il ne l'était pas, pour moi.

Vous aviez beaucoup de points communs avec Léo Ferré, ce côté poète et ce besoin aussi de "dénoncer" les affres du pouvoir. Vous en avez fait un album, Pouvoirs, qui est sorti en 1979. C'était juste après 15e Round. Est-ce une façon de dire des choses, définitivement, que les autres ne peuvent pas dire ?

Je ne suis pas sûr qu'ils y penseraient. Ce n'est pas qu'ils n'osent pas le dire, ils ne trouvent pas les mots. Ils ont trop de soucis dans leur vie quotidienne. J'ai passé un bon moment à regarder toutes les franges du pouvoir. J'ai commencé par mes amis autonomes des Brigades rouges, tous ces gens-là que je connaissais. Ce qui était une façon de voir les choses qui n'était pas terrible. Et après, le pouvoir sur les femmes, tout ça. Toute cette histoire, et ceux qui subissent, donc le peuple, qui a peur et à qui on fait peur. La dernière chanson, c'est La Peur. Alors, effectivement, ça peut être pénible à écouter parce que ce n'est pas si simple, c'est peut-être un peu direct, mais c'est très sophistiqué malgré tout et je n'en ai pas vendu, même si tout le monde le connaît, personne ne l'a acheté, en tout cas.

Dans les années 1970, vous allez découvrir le reggae grâce à l'un de vos musiciens qui était branché ska. Avec cette découverte, vous allez décider de partir en Jamaïque et vous allez y rencontrer Marley. Il avait déjà écouté un titre de 15e Round et c'est à ce moment-là que va naître Stand The Ghetto. Que gardez-vous de cette rencontre avec lui qui était assez taiseux ?

Il écoutait tout le temps La danseuse du Sud qui est sur 15e Round et qui est une sorte de blues, de chanson d'amour, mais tout à fait spéciale. Alors comme je parlais un anglais de Tchécoslovaque, je ne pouvais pas trop lui expliquer. J'ai appris l'anglais en Jamaïque. Il faut comprendre pourquoi les Anglais ne me comprennent absolument pas. Après, il m'a donné des conseils. Il m'a dit d'aller enregistrer dans tel studio et de prendre tel groupe.

"Bob Marley est une sorte de personnage qui ne parle pas beaucoup, c'est vrai, c'était un mec très intérieur."

Bernard Lavilliers

à franceinfo

En 1979, il avait le crabe, le cancer, qu'il ne voulait pas soigner, ce qui fait qu'il est mort en 1981.

Vous rappelez-vous du moment où vous écrivez Stand The Ghetto parce qu'elle est devenue une chanson incontournable, culte ?

Je l'ai écrite dans la nuit avant d'aller au studio. Je n'en avais qu'une, c'était Kingston et je me dis mince, il faut que j'en aie au moins deux. J'ai trouvé les accords et j'ai écrit ce qui se passait. Les gens aimaient leur vie bien sûr, mais c'était très difficile de supporter le ghetto. En gros, l'Île est belle, mais le ghetto est dur. Ce qui se passe, c'est qu'avec cette chanson-là, c'est la première fois que je passe à la radio, alors que je raconte la même chose que dans Les Barbares. Sauf que c'est jamaïcain. Dans le reggae, ce qu'il y a aussi dans le calypso, il y a les chœurs, de la soul et il y a le mento qui est la musique de départ, l'origine. C'est vrai que c'est une musique séduisante, on peut danser dessus tranquille, pas besoin de danser vite. Cette musique est un peu faite pour les paresseux, c'est pour ça qu'elle a remporté autant de succès !

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