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"C'est essentiel de témoigner" : à 96 ans, Robert Hébras est le dernier survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, ils sont deux, Robert Hébras et sa petite-fille, Agathe. Ils publient "Le dernier témoin d'Oradour-sur-Glane" aux éditions HarperCollins.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le village d'Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), le 27 février 2017, dont les habitants ont été massacrés par les SS le 10 juin 1944. (ALAIN LE BOT / PHOTONONSTOP)

Robert Hébras est le dernier témoin du massacre d'Oradour-sur-Glane et ce mercredi 1er juin 2022, il publie avec sa petite-fille, Agathe, l'ouvrage Le dernier témoin d'Oradour-sur-Glane aux éditions HarperCollins.

Le 10 juin 1944, il a survécu au massacre perpétré à Oradour-sur-Glane, une petite commune française située dans le département de la Haute-Vienne, par la division SS Das Reich. Ce massacre est indélébile et restera l'une des pires atrocités commises pendant la Seconde Guerre mondiale sous l'occupation des nazis. Deux groupes ont été créés, les femmes et les enfants d'un côté, les hommes de l'autre. Certains seront fusillés, d'autres brûlés vifs, notamment au cœur de l'église.

franceinfo : Ce livre, écrit de concert avec votre petite-fille, est un passage de témoin nécessaire à la transmission de cette mémoire douloureuse.

Robert Hébras : Le passage de témoin s'est fait avec le temps, j'ai senti que ma petite-fille était très proche de ce que j'ai vécu. Cela ne s'est pas fait sur un coup de tête, mais avec le temps.

Dans ce livre, on apprend qui vous êtes. Vous rendez aussi hommage à vos parents.

J'avais trois sœurs, j'en ai perdu deux à Oradour, avec ma maman.

Robert Hébras

à franceinfo

Je suis d'une famille modeste.. J'ai passé mon enfance et mon adolescence dans le village. Avant, c'était une vie tranquille.

Au moment où les nazis arrivent, vous êtes en train de discuter avec vos camarades. Vous parlez de foot et là, vous voyez des blindés chenillés arriver.

Oui. On entend le bruit, on se retourne et on voit les véhicules chenillés qui passent devant nous. J'ai mon camarade, Martial, qui me dit : "J'ai peur, je vais me cacher". Je lui ai répondu : mais que veux-tu qu'ils nous fassent ?

À ce moment-là, effectivement, personne ne prend conscience de ce qui est en train de se passer.

Non. On n'en prend pas conscience car d'abord, on ne sait pas ce qui s'est passé, la veille, à Tulle. Si on avait su, ça nous aurait mis la puce à l'oreille. Ce qu'on connaît aujourd'hui, on l'a appris après. En plus, ils n'étaient pas agressifs à ce moment-là.

Au début, ça se passe d'une façon très calme. Les Allemands rentrent dans chaque maison, ils en sortent les occupants, les uns après les autres. Ils crient : "Place" pour que tout le monde s'y réunisse et scindent la population en deux groupes.

Oui. C'est-à-dire qu'on est sur la place, tous ensemble. Personne n'avait imaginé ce qui allait se passer.

Il y a cette grange Laudy. Vous passez devant les Allemands et ils vous demandent d'y rentrer.

Nous, les hommes, on nous fait mettre sur le trottoir, face au mur. Ils avaient des armes.

Et vous regardez votre maman s'éloigner d'ailleurs...

Oui, je regarde ma maman qui se retournait d'ailleurs, qui s'inquiétait beaucoup pour moi. Je ne me suis pas rendu compte de ce qu'il se passait.

D'un seul coup, l'un des soldats demande à ce que vous vous leviez.

A un moment donné, il y a un soldat qui fait le tour de notre groupe, en nous faisant signe de nous lever. On se lève et le temps qu'ils reviennent dans l'entrée de la grange, il y a une détonation dans le village qui donnait le signal de la fusillade.

Là, ils vous tirent dessus. La totalité de vos amis tombe. Vous-même, vous tombez, gravement blessé.

Oui, je tombe je ne sais pas comment et je me retrouve sous les autres.

Et vous ne bougez pas. Vous prenez le parti de ne pas bouger, de ne pas montrer que vous êtes vivant.

Lorsque le feu m'atteint, je prends la décision de sortir, persuadé d'être tué par l'incendie. Je ne voulais pas mourir brûlé vif.

Et là, vous vous retrouvez finalement avec quelques camarades. Vous êtes vraiment une poignée à vous en sortir.

On se retrouve à cinq, à se préserver, pendant tout l'après-midi, des soldats et du feu.

Pendant la nuit, vous allez partir rejoindre une de vos sœurs qui n'habite pas à Oradour. C'est là que vous allez retrouver votre père et vous êtes persuadé à ce moment-là que vous allez bientôt pouvoir retrouver les femmes de votre vie, votre mère et vos deux autres sœurs...

Quand j'ai expliqué à mon père ce qu'il s'était passé, qu'on avait emmené les femmes à l'extérieur, mon père, sans rien me dire, a pris sa bicyclette et a été jusqu'à Oradour. Il s'est approché de l'église et il a vu le massacre dans l'église.

Mon père est revenu d’Oradour-sur-Glane et m'a dit : ‘Tu ne reverras plus ta mère et tes sœurs, ils les ont brûlées dans l'église’. Je crois que ça a été le choc le plus important de ma vie.

Robert Hébras

à franceinfo

Agathe, vous êtes devenue l'oxygène de votre grand-père.

Agathe Hébras : C'est réciproque. On est liés même sans être ensemble.

Que représente ce grand-père pour vous ?

Moi, je dis souvent que c'est mon super héros. J'ai cru très longtemps qu'il était immortel. J'ai mis longtemps à réaliser que je ne l'aurais pas toute ma vie. Je sais qu'une de ses craintes était de ne pas me voir aller à l'école. Il voulait me voir à neuf ans, l'âge de sa petite-sœur Denise, qui est partie à Oradour. C'est le premier homme de ma vie.

Tant que vous serez en vie, Robert, vous témoignerez ?

Robert Hébras : Oui, c'est essentiel de témoigner.

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