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"Je suis libre dans ma tête, je suis libre" : Marika Bret de Charlie Hebdo

L’invitée exceptionnelle du monde d’Elodie est Marika Bret, responsable des ressources humaines de Charlie Hebdo et chargée de la transmission de la mémoire de Charb qui a co-écrit avec Claude Ardid et Nadège Hubert le livre "Qui veut tuer la laïcité ?" aux éditions Eyrolles.

Article rédigé par franceinfo - Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Marika Bret est responsable des ressources humaines de Charlie Hebdo, le 26 novembre 2015 (photo d'illustration).  (JOEL SAGET / AFP)

C’était le 7 janvier 2015, il y a exactement cinq ans, la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo était touchée en plein cœur lors d’une attaque terroriste. Cet attentat est le plus meurtrier des trois perpétrés en janvier 2015 faisant 12 morts parmi lesquels huit collaborateurs de l'hebdomadaire : les dessinateurs Charb, Cabu, Honoré, Tignous, Wolinski, la psychanalyste Elsa Cayat, l’économiste Bernard Maris, le correcteur Mustapha Ourad, un invité du journal, un agent d'entretien et deux policiers.

"La laïcité, c’est une liberté"

Pour faire réagir et réfléchir, Marika Bret, Claude Ardid et Nadège Hubert publient le livre Qui veut tuer la laïcité ? aux éditions Eyrolles. Elle a accepté de revenir sur cette journée, sur le quotidien du journal après, sur l’envie d’avancer malgré tout et surtout sur ce besoin viscéral de ne pas arrêter pour ne jamais donner raison aux auteurs de ces massacres.

Marika Bret rappelle que "La laïcité, c’est la loi de 1905 (…) La loi encadre la laïcité (…) La laïcité c’est une liberté, et cela s’appelle la liberté de conscience et non pas la liberté religieuse comme on l’entend trop souvent. La liberté de conscience inclue la liberté religieuse mais l’inverse n’est pas vrai." Cette liberté de conscience est, pour elle, une grande émancipation de l’esprit, de pouvoir croire ou ne pas croire et d’être libre de choisir son chemin spirituel.

Aujourd’hui, cette laïcité est vécue comme un empêchement alors que c’est l'une de nos plus belles libertés issues du Siècle des Lumières

Marika Bret, responsable RH de Charlie Hebdo

à franceinfo

Marika Bret se remémore ce 7 janvier 2015 : "C’est un état de sidération absolue, mais à la fois, je n’ai pas été surprise notamment par rapport à Charb car il était menacé depuis longtemps. Il était sur une affiche d’Al-Qaïda Yémen. Et sur cette affiche c’était écrit : 'Wanted mort ou vif pour crime contre l’Islam'", se souvient la responsable des ressources humaines de Charlie Hebdo.

Faire le "numéro d'après"

C’est encore avec émotion que Marika Bret confie à Elodie qu'en apprenant la terrible nouvelle, elle "hurle, je suis un animal blessé". Elle raconte son incompréhension quant à la défaillance de l’État qui n'a pas su protéger les membres menacés de l’hebdomadaire.

"Le lendemain, c’est un état de sidération absolument infernal, se rappelle-t-elle. Et c’est la seule fois où on a pu se permettre de faire parler" ceux qui ont été tués dans l'attaque terroriste.

C’est de dire : ils veulent ce numéro d’après, ils l’auraient voulu, ils l’auront

Marika Bret, responsable RH de Charlie Hebdo

à franceinfo

Ceux qui "restent" sont hébergés dans les locaux du Journal Libération, Le Monde fournit du matériel. "On fait ce numéro dans des conditions dingues, explique Marika Bret. Ensuite, toute la semaine, on les enterre tous notamment le jeudi et le vendredi. Quatre cérémonies par jour, c’est insoutenable mais il faut y aller. Puis, c’est la décision de continuer ou de ne pas continuer." Marika Bret explique le pourquoi de sa participation au numéro de l'Après à Elodie Suigo : "Ma raison première : c’est que les frères Kouachi n’ont pas gagné. Ils ont tué des hommes, ils ont à travers eux visé ce qui nous est cher à nous toutes et tous : la liberté d’expression, la laïcité. Ils ne vont pas gagner".

Le dessin politique est en grande difficulté 

Cet attentat n’a pas entamé l’une des valeurs fondamentales que défend Charlie Hebdo : la liberté d’expression. En revanche, Marika Bret s’inquiète sur "la liberté de dessiner. Le dessin politique est en grand difficulté. Le dessin de presse, ce n’est pas une illustration, il donne un avis. D'ailleurs, les dessinateurs de presse sont journalistes. C’est ce travail-là qu’ils font avec la plume". Une plume toujours très critiquée. "Quand je vois les réactions sur certains dessins publiés dans Charlie, oui ça m’inquiète", admet Marika Bret.

Je vais à peu près tous les mois au commissariat pour déposer plainte. Parce que quand un dessin déplaît, on nous souhaite une nouvelle rafale de Kalashnikov.

Marika Bret, responsable RH de Charlie Hebdo

à franceinfo

Elle en veut aux politiques et intellectuels qui dès janvier 2015, l’air de rien, insinuent cette musique très désagréable : "Ils l’ont bien cherché, fallait pas dessiner Mahomet". Marika Bret se demande au nom de quoi il ne fallait pas dessiner ce "Personnage imaginaire", parce que pour certains il l’est. Elle décrit le dessin de Cabu qui lui a valu un procès en 2006. Le prophète a sa tête entre les mains, il est "débordé par des intégristes" et il s'exclame : "C’est dur d’être aimé par des cons". Seule la dernière phrase a été retenue par les intégristes. Cela aurait dû sonner comme une alerte.

Désormais, elle vit protégée, jour et nuit, par des agents de sécurité. Ce qui n'est pas évident mais elle conclut par : "Je suis libre dans ma tête, je suis libre" et se souvient des disparus trop tôt : "lls m’ont laissée quelque chose d’absolument formidable : de savoir ce que c’est la liberté de rire, sans tabou, sur tous les sujets avec un objectif et une intention."

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