Julie Andrieu : "Je me suis mise à faire la cuisine par ennui"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’animatrice et critique gastronomique Julie Andrieu. Elle publie "A comme astuces" aux éditions Robert Laffont.
Julie Andrieu est animatrice et critique gastronomique. Elle consacre sa vie à la cuisine puisque c'est une véritable passion, même si elle l'a choisie sur le tard, après avoir été photographe. Elle anime Les carnets de Julie sur France 3 le samedi et publie A comme astuces, son abécédaire de la cuisine chez Robert Laffont.
franceinfo : Dans A comme astuces, on retrouve beaucoup de recettes parce que c'est quand même le principe d'un livre de cuisine, mais le but du jeu était de mieux intégrer dans nos plats des ingrédients qui font partie de notre quotidien et éviter le gaspillage alimentaire.
Julie Andrieu : Oui. c'était de trouver des raccourcis en cuisine aussi, gaspiller le moins possible et utiliser au maximum toutes les ressources d'un produit.
Vous-même, vous cultivez votre potager.
Je m'y suis mise au moment des confinements parce que j'ai la chance d'avoir un petit jardin et d'avoir quitté Paris au bon moment, un peu avant les crises du Covid-19, mais je ne sais pas cultiver mon potager. Je vais être honnête, j'ai un papa qui le fait magnifiquement bien. Je serais encore aujourd'hui peut-être incapable de faire sortir une carotte. Ce sera d'ailleurs l'objet d'une prochaine émission : apprendre à cultiver ses végétaux.
La cuisine n'était pas une évidence, pour vous, au début. Vous vouliez faire de la photo, échapper à vos études. Vous êtes partie très loin, très vite. Le but était d'aller chercher votre indépendance.
Oui, c'est vrai. J'avais été élevée par une maman déjà très indépendante, famille monoparentale, de saltimbanques, elle était comédienne. Tout ça était intégré en moi. Je ne me sentais pas beaucoup de points communs avec les gens de mon âge. Je n'avais aucune envie d'aller en boîte et de me retourner la tête, ce n'était pas mon truc. Mon truc, c'était effectivement, comme je l'ai fait à 17 ans, de partir.
Je suis allée vers ce qui me paraissait le plus loin de ma culture. Je suis partie directement pour Katmandou et de là-bas, je suis descendue avec tous les moyens de transport possibles jusqu'au Sri Lanka, en traversant l'Inde, toute seule, dans une inconscience totale. J'ai fait un voyage initiatique avec une arrivée à Bénarès de nuit, après 24 heures de car. On arrive sur le bord du Gange et on voit ces corps brûlés... Tout ça, c'est un choc culturel tellement fort que je ne crois pas avoir ressenti quelque chose d'aussi intense depuis, sauf peut-être avec la naissance de mes enfants, dans un genre différent.
C’est devenu un choc temporel et un tournant dans votre vie.
C’est vrai. Être libre, ne pas dépendre, si possible, d’un patron, d’horaires, me dire que j’allais pouvoir inventer ma vie... Il fallait simplement trouver le biais, le prisme et à l’époque, c’était la photo. Quand on part seule pendant trois, quatre mois, tous les matins, il faut avoir une motivation, il faut aller chercher des images.
"Je crois qu’au travers de mon métier, j’essaie de prendre le temps, autant qu’on peut en avoir pour écouter, comprendre et transmettre."
Julie Andrieuà franceinfo
Il y avait aussi cette volonté, peut-être à un moment, de se retrancher derrière quelque chose, le boîtier, de se retrancher dans la chambre noire. J’étais une enfant assez timide, mais ça m’a donné une force, en tous cas une capacité à être seule, ce qui, je crois, est une force dans la vie.
J'ai eu la chance de rencontrer mon idole Henri Cartier-Bresson qui était sur les dernières années de sa vie, un immense photographe qui a créé l’agence Magnum avec Robert Capa. Je lui ai montré mes images, évidemment, et il a été assez froid. Il m'a dit, et je m'en souviens comme si c'était hier : "C'est très bien, mais le seul conseil que je peux vous donner, c'est d'arrêter de faire des photographies pendant un an au moins et d'apprendre à appesantir votre regard sur les choses qui vous entourent".
C'était le plus merveilleux conseil qu'on puisse donner à une jeune photographe, mais plus largement à une jeune fille. Un conseil qui est encore aujourd’hui prégnant et d’actualité. "Appesantir son regard sur les choses", qui peut prétendre avoir le temps de regarder avec attention ? Il a raison, photographier, ce n’est pas juste cadrer, c’est avant tout voir et regarder, porter de l’attention.
Que vous a apporté votre mère, Nicole Courcel, partie en 2016 ?
Elle m'a donné une capacité à voir les choses peut-être un peu différemment, un regard sur l'autre. On ne pouvait pas marcher dans la rue en voyant quelqu'un qui faisait la manche sans qu'elle le récupère à la maison.
"Ma mère m'a, avant tout, appris à me faire confiance. Et une leçon que j'applique aujourd'hui, c'est de donner du temps aux enfants."
Julie Andrieuà franceinfo
C'était quelqu'un qui, d'abord, n'aimait pas beaucoup son métier et cela m'a beaucoup marqué. Elle m'a toujours enseigné que c'était un métier qui vous rendait très dépendant, surtout pour une femme.
Comment êtes-vous passée de la photographie à la cuisine ? Quel est le déclic ?
Grâce à un photographe, Jean-Marie Périer, avec qui je vivais à l'époque. Je me voyais sur les grands événements, couvrant les guerres. Lui m'y voyait peut-être un peu moins parce qu'il avait envie de me garder auprès de lui. Il m'a fait surtout comprendre que c'était quand même un métier qui avait un peu disparu et que je risquais de courir après une chimère. Et du coup, je me suis cherchée.
J'ai fait de l'immobilier, tout un tas de petits boulots qui m'ont emmerdée à cent sous de l'heure. Et puis, je me suis tellement emmerdée, pardon pour le mot, mais c'était ça, qu'au bout d'un moment, je me suis mise à faire la cuisine. Donc c'est grâce à l'ennui. Le premier plat que j'ai fait, je crois que c'était une terrine de foies de volaille parce qu'il adorait ça. Et je me suis dit si dans la vie, quelqu'un comme moi peut réussir une terrine de foies de volaille, tout est possible !
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