Le chanteur colombien Yuri Buenaventura vit "pour la salsa et sans peur grâce à elle"
Sa reprise de Ne me quitte pas de Jacques Brel en 1996, revisitée au rythme Salsa, a marqué les esprits en plus de braquer les projecteurs sur Yuri Buenaventura. Une belle histoire, comme on dit, pour le gamin qui a appris à lire et parler en lisant les papiers des journaux collés sur les murs de la maison que sa mère utilisait comme isolants et décoration. C'est pour entamer des études d'économie qu'il est arrivé sur le sol français, à la Sorbonne. Mais ses concerts improvisés pour faire la manche au métro Saint-Michel ont vite pris le dessus. Il sera en tournée dès le mois de février 2025 avec un arrêt le 8 avril à la salle Pleyel à Paris, pour interpréter notamment son dernier album Amame.
franceinfo : Amame signifie 'Aimez-moi'. C'est "un hymne, un cri du cœur lancé aux hommes qui se sont battus sans courber l'échine", dites-vous, qui ont su projeter et protéger leur culture ?
Yuri Buenaventura : Oui, c'est exactement ça. Par rapport à Buenaventura, à mes origines et à tout ce que j'ai vécu pour aller jusqu'à la Salle Pleyel.
Notamment les journaux, ils ont été vos premiers cours pour apprendre la langue.
Oui, c'est très poétique.
"La précarité sans poésie et sans amour, c'est très dur, mais la précarité avec dignité, amour et protection des parents, c'est tout."
Yuri Buenaventuraà franceinfo
Il n'y a pas de haine contre la société. Cela te donne conscience que l'amour est un outil très important pour comprendre l'humain et la société.
Dans cet album, vous parlez des autres qui justement ont dû vivre avec leur culture, pas forcément là où ils sont nés. Quelque part, vous parlez d'abord de vous.
Oui, il y a une partie de l'album qui est exclusivement dédiée à l'amour et au désamour, mais l'amour des hommes aussi dans la société et le désamour des hommes. Et, ce titre Aqui llegamos parle des hommes noirs qui sont arrivés d'Afrique et qui ont trouvé un territoire libre en Colombie et qui aujourd'hui, par un enjeu économique et stratégique, sont encore déplacés par les conflits parce qu'il y a de la richesse matérielle, parce que c'est un territoire qui est face à l'Asie et face à la Chine et que maintenant on a besoin de pousser ces hommes, ces Noirs de ces régions.
Vous rendez aussi hommage aux musiques latinos new-yorkaises et à ses musiciens. Ils ont d'ailleurs été une véritable inspiration pour vous.
Oui, en fait, l'Amérique latine a émigré aux États-Unis, mais ils ont rencontré là-bas les hommes noirs du jazz. Et cette musique s'est brassée. Cette musique caribéenne un peu tropicale s'est brassée avec ces sons urbains new-yorkais et les harmonies de jazz. Et la salsa, le jazz latino, c'est ce brassage. Mais il y a un autre élément qu'on oublie souvent, ce sont les techniciens, les ingénieurs du son. La prise de son à New York a changé la mise de toute la sonorité de la musique latine, la technologie américaine a permis de capturer ces sons.
La musique a toujours fait partie de votre vie. Et cet album, c'est aussi en ça qu'il parle de vous, c'est-à-dire que vous avez décidé de l'enregistrer avec les musiciens, les instruments. Pas d'intelligence artificielle. C'est important de garder l'humain au cœur de la création musicale ?
Certainement. L'intelligence artificielle dans la musique produit des fréquences. Ces fréquences arrivent à nos oreilles, mais elles sont mortes parce qu'à l'intérieur, il n'y a pas l'émotion humaine. Dans la musique, il y a l'émotion des lettres, dans une trompette de Chet Baker, dans la guitare de Django Reinhardt, dans la pianistique de Michel Petrucciani ou dans la voix de Charles Trenet, il y a une émotion. La fréquence arrive et elle est vivante. Il y a cette émotion humaine. Et si la musique prend la route des fréquences mortes, c'est comment manger quelque chose qui ne nourrit pas. Et on est humain ou pas.
Petit, vous rêviez de faire de la musique. Vous rêviez de chanter, vous rêviez de vous amuser, de sourire, de rire. Comment le petit garçon que vous étiez voit l'homme que vous êtes devenu ?
"Nos sociétés ne sont pas équitables."
Yuri Buenaventuraà franceinfo
Je lui dirai de ne pas avoir autant peur sur la route. C'est normal que dans les sociétés des pays en voie de développement, les êtres aient peur parce qu'il y a un conflit interne, il y a la corruption, il y a les mauvais exemples des dirigeants politiques. Tout ça, ce n'est pas un scénario pour qu'une société soit calme, apaisée et c'est peut-être une stratégie, mais j'apprécie beaucoup ces luttes de la République française pour se retrouver, à être soi, à être autonome face à Dieu, face à tout. Et c'est constituer comment être et s'élever. La salsa voudrait amener ça et elle m'a aidé à ça. Je vis pour la salsa et je vis sans cette peur grâce à elle.
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