Le monde d'Elodie. Charles Berling : "J’attendais d’un président de la République une vision à plus long terme sur la culture"
L'acteur, qui dirige la scène nationale Chateauvallon-Liberté à Toulon, commente les mesures annoncées par Emmanuel Macron et évoque ses projets dans le monde d'après.
Elodie Suigo : Charles Berling, acteur, metteur en scène, réalisateur, scénariste, producteur et même chanteur, le déconfinement débute aujourd’hui, beaucoup l’attendaient, d’autres l’appréhendaient après huit semaines de confinement et de crise sanitaire sans précédent. Vous figurez, avec 200 autres prestigieux artistes et scientifiques parmi les signataires d’un appel intitulé "Non au retour à la normale". Appel publié dans le journal Le Monde le 7 mai dernier. Selon vous, en quoi surmonter la crise économique et sanitaire pour revenir à la normale nous mènerait à la catastrophe écologique ?
Charles Berling : Ça fait des années que ça se dit. C’est la parole de grands scientifiques, de penseurs, pour dire que continuer comme nous le faisons, c’est un suicide collectif. J’invite les politiques à écouter les scientifiques jusqu’au bout. C’est-à-dire, à tenir un cap qui voit un peu plus loin que simplement cette année.
Êtes-vous optimiste ou pessimiste sur cette possibilité de changement ?
Je suis à la fois désespéré et en même temps je reste optimiste. Je dirige une scène nationale qui s’appelle Châteauvallon Liberté. On travaille avec des enfants, on travaille avec des gens de tous les âges, de tous les milieux, on essaye comme on peut d’apporter notre pierre, pour reconstruire, pour repenser le monde d’aujourd’hui. Je pense que c’est important d’être optimiste, dans le sens où nous, citoyens, on peut tous s’agir. Et que, à l’endroit où on est, même si c’est peu, eh bien c’est déjà beaucoup ! Plus on peut tendre à modifier les choses et mieux c’est. Et la culture a un grand rôle à jouer dans ce sens.
Le monde culturel est un des secteurs les plus touchés, sinistrés après l’arrêt complet des spectacles, des concerts, des festivals, des théâtres... vous êtes très très concerné. Du cinéma aussi… Que pensez-vous des annonces du président de la république pour soutenir la culture notamment le maintien des aides aux intermittents du spectacle ?
Je pense que pour l’instant elles sont faibles, que depuis de trop nombreuses années, les pouvoirs politiques n’ont pas une vision suffisamment forte, claire, pour soutenir la culture dans ce pays. Que progressivement, comme un certain nombre de biens publics, de services publics, il y a un délitement qui se passe. Là, on a vécu avec le coronavirus, le délitement des hôpitaux. La vulnérabilité, la fragilité des systèmes qu’on ne défend pas assez. Il y a un certain nombre de biens pour moi qui sont des biens publics. C’est-à-dire qu’ils sont inaliénables : la culture, l’eau, l’énergie, les transports. Toutes ces choses là, si on commence à trop les brader au privé, on se retrouve dans une grande vulnérabilité comme ça s’est passé, là. J’attendais plus d’un président de la république. J’attendais une vision à plus long terme sur la culture. C’est bien que les intermittents fassent l’objet de cette mesure, mais ça ne suffit pas pour donner espoir. Moi je dirige une scène nationale, je veux la redonner à d’autres personnes, en bon état. Et donc, ces outils de la culture, il ne faut pas juste les sauver cette année ! Il faut se demander "Qu’est-ce qu’on sera dans 10 ans, dans 20 ans ?". Sinon il faut arrêter de faire des enfants et il faut dire à nos enfants "Hé bien, on continue à se moquer de vous, quoi !".
Ça change, qu’on laisse une semaine à l’équipe pour retrouver leurs proches, pour sortir de ce confinement et à partir du 18 mai, ça change qu’on va pouvoir progressivement ré-accueillir du public, on va pouvoir renouer un lien. Le lien fort de lieux de spectacles vivants que nous représentons. On va faire preuve de distanciation physique, parce qu’on est responsables et qu’on tient compte des contraintes sanitaires. On a d’ailleurs déjà travaillé avec les délégués du personnel. Et à partir de là, on va rouvrir aux artistes, on va ouvrir aux intermittents, on va ouvrir au public, progressivement. Pour qu’en juillet justement, comme nous à Châteauvallon, on a la chance d’être en plein air, on va recevoir des publics à travers des plus petites formes que d’habitude, mais on va renouer avec ce pourquoi nous sommes faits, c’est-à-dire le partage avec le public, d’émotions, de valeurs.
Il vous a changé ce confinement ?
Oui il m’a changé. Si j’ai signé cette pétition pour que le monde d’après ne soit pas le même que le monde d’avant, ça vaut aussi pour moi. Je crois que dans nos métiers d’artistes, on avait un peu trop tendance à s’éparpiller, à courir à droite à gauche à travers le monde. Avec le cinéma, avec le théâtre, c’est souvent le cas. J’avais un projet en Afrique par exemple. Donc, au lieu de partir trois fois par an 10 jours par mois en Afrique, je me dis que je prendrai le bateau et que j’irai deux mois m’installer en Afrique. J’ai gagné de me dire qu’il faut plus de temps long. Ma situation personnelle fait que je vais me recentrer sur un certain nombre de choses. On est les uns et les autres poussés à un suractivisme et à une surconsommation. J’y ai cédé, comme beaucoup. Donc, ça m’a quand même permis me recentrer dans ce qui m’apparaît comme l’essentiel.
Vos projets pour la suite ?
De relancer la scène nationale Châteauvallon Liberté à Toulon, de répéter Dans la solitude des champs de coton (la pièce de Koltès) que je devais jouer à Paris mais qu’on va reporter. Pour moi, c’est renouer avec l’activité. Après, les tournages sont repoussés à l’année prochaine, donc on va voir comment ça se passe pour le cinéma.
Merci beaucoup Charles Berling d’avoir accepté de répondre aux questions du Monde d’Elodie sur franceinfo !
Bon déconfinement à tout le monde !
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