"L’amour, c'est ce qui me sauve encore" : Luz publie la seconde partie de "Vernon Subutex" avec la complicité de Virginie Despentes
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le caricaturiste de presse et auteur de bandes dessinées, Luz. Il vient de publier avec Virginie Despentes la seconde partie de "Vernon Subutex" chez Albin Michel.
Luz est caricaturiste de presse et auteur de bandes dessinées. Il a débuté dans le journal de bande dessinée Psikopat avant de travailler au sein de l'hebdomadaire Charlie Hebdo, auquel il a collaboré pendant plus de 23 ans.
Le 7 janvier 2015, il est arrivé en retard à la conférence de rédaction, ce qui lui a sauvé la vie. Depuis, le pacifiste qu'il est a dû changer de vie, vit caché, protégé jour et nuit et il n'a, malgré l'absence et le drame, jamais baissé le crayon, sa seule arme. Il publie avec Virginie Despentes la seconde partie de Vernon Subutex chez Albin Michel.
La prochaine exposition de Luz, Vernon Subutex, se tiendra du 21 octobre au 26 novembre 2022 dans la galerie Huberty & Breyne.
franceinfo : Vernon Subutex est un ami imaginaire avec lequel vous avez su créer des liens et avec lequel vous avez beaucoup de points communs. Il y a donc beaucoup de vous en lui et beaucoup de lui en vous. C'est ça ?
Luz : Il n'y a pas que Vernon Subutex qui a beaucoup de moi, dans ce bouquin, il y a tous les autres personnages. Je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de Despentes dans chacun des personnages et que moi, il fallait que je trouve ma place dans ces personnages-là. Et en fait, il y a un truc marrant, c'est que moi, depuis quelques années, je suis un peu diffracté. J'étais bombardé d'émotions et travailler sur un livre choral, ça permet de mettre ses émotions dans tous les personnages et de pouvoir finalement avoir l'impression d'être soi partout et de se dire que quand même, il fallait laisser de la place pour que le lecteur et la lectrice puissent trouver aussi sa place dans chacun des personnages.
Vous êtes musicovore depuis tout petit. Il y a beaucoup de musique à l'intérieur de cet ouvrage, c'est évident. Il y a un côté un peu Doors, on a l'impression d'avoir un peu un Morrisson à côté de nous. Est-ce que vous êtes punk ?
Je ne sais pas si je suis punk. En tout cas, la musique, à un moment donné, a disparu de ma vie, a disparu de ma tête après les attentats, disons-le clairement. Travailler sur Vernon m'a obligé à travailler sur la musique, à travailler sur, justement, cet endroit dans ma tête, où je convoquais absolument tous mes personnages imaginaires, mes amis imaginaires. Grâce à Vernon, j'ai à nouveau écouté de la musique, j'ai à nouveau sorti des disques de ma discothèque.
Comment fait-on pour rester debout ? Qu'est-ce qui vous donne envie de vivre, de continuer à avancer ? Votre famille, évidemment, mais encore ?
La famille aide à tenir debout. Elle aide surtout à ne pas finir complètement seul dans sa tête. Et le dessin est aussi très utile parce qu'on peut subir un exil géographique, un exil mental. Mais moi, je me bagarre pour éviter d'avoir un exil graphique. Mon travail dans Vernon montre aussi ce truc-là.
"Je ne suis pas un caricaturiste, un illustrateur, je suis juste un dessinateur et je prends tout ce qui est possible dans l'art que je connais, que j'essaye de comprendre encore maintenant, pour faire partager quelque chose."
Luzà franceinfo
Vous avez toujours été comme ça, même petit ? À quel moment le dessin rentre dans votre vie ?
En fait, le dessin est rentré dans ma vie grâce à ma famille, parce que j'étais fils unique. Je n'avais pas de frères et sœurs avec lesquels jouer et quand il y avait des réunions familiales, il y avait beaucoup, beaucoup d'adultes qui racontaient énormément de choses que je ne comprenais pas, mais que je soupçonnais être un peu stupides. Et du coup, je passais mon temps à dessiner justement les tables de déjeuner ou de dîner et je mettais dans la bouche de mes personnages, qui étaient ceux de ma famille, ce qu'ils venaient de dire pendant cette soirée. Et c'est là que mon premier travail de satiriste, finalement, a commencé.
Cet ouvrage est optimiste parce que c'est aussi un chemin à suivre que celui d'être plus tous ensemble, de davantage s'écouter. Est-ce que vous êtes optimiste ?
Oui, c'est bizarre. J'arrive toujours encore dans ma tête à me dire : ça va aller un peu mieux. J'ai une fille et je vois que les choses sont beaucoup plus fluides, en tout cas dans le genre, dans la perception que les gamins ont de leur avenir. Et je me dis : ça, c'est une chance parce que nous, on est nés au XXe siècle et on est encore piégés par beaucoup de conformisme et beaucoup d'injonctions. Je me dis que ça va plutôt vers le mieux. En fait, c'est un truc un peu con, mais depuis quelques années, je suis envahi par plein d'émotions contradictoires et je peux être un peu pessimiste parfois, mais je peux surtout être très optimiste.
"Toutes les émotions m'ont traversé, me traversent encore. Il y a juste un truc que je n'arrive pas à avoir et ça me manque, mais peut-être que ce n'est pas plus mal, c'est la colère."
Luzà franceinfo
Quel sentiment avez-vous eu alors ? Par quoi cela s'est-il traduit ?
Par tellement d'autres choses ! Par la tristesse, le désespoir. Lever le menton pour conserver cette dignité et peut-être aussi l'amour. Franchement, c'est ce qui me sauve. C'est ce qui me sauve encore.
Ce livre est aussi un regard sur le temps qui passe, sur les blessures qu'on peut avoir enfant, ado ou adulte et qui nous font grandir. Ce temps est nécessaire, ce temps qui passe vous fait du bien ?
Le temps ne guérit pas vraiment, mais le temps vous permet de vous voir changer. Parfois, j'ai l'impression que je fais des bouquins pour dire aux lecteurs et aux lectrices où j'en suis et pour avoir un dialogue avec eux. Après, c'est bizarre parce que c'est une espèce de dialogue télépathique. Moi, je ne fais plus de dédicaces, je ne vais plus dans les festivals, je ne fais plus grand-chose, je ne vais plus au contact des lecteurs et des lectrices, mais par contre, je suis en contact permanent avec mes personnages et bon Dieu, qu'est-ce que je les aime !
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