Magyd Cherfi : "La société cosmopolite dont on rêve, à laquelle prétend la République, reste un objectif"
En 1985, Magyd Cherfi commençait à chanter avec des amis au sein d'un groupe. Sa plume a servi à la création de toutes les chansons qui feront la renommée de ce groupe, Zebda. Depuis 2004, il a décidé de se lancer dans une carrière solo, gommant définitivement la dyslexie qui l'a longtemps accompagné quand il était enfant à Toulouse. Après nous avoir présenté son livre, La vie de ma mère, publié chez Actes Sud en janvier dernier, il sort un nouvel album, Le propre des ratures. Il sera en tournée dès la mi-décembre.
franceinfo : Le propre des ratures est très dense, très intime. Vous dites que ce sera le dernier. En êtes-vous sûr et pourquoi ?
Magyd Cherfi : Je ne suis pas sûr de moi, mais on sent qu'il y a un moment où il faut peut-être un petit peu clore un certain nombre d'histoires, notamment pour moi, celle de la musique.
Cet album, c'est la bande originale de La vie de ma mère en quelque sorte, avec cette maman qui est au cœur de votre vie depuis votre plus tendre enfance. On se rend compte aujourd'hui à quel point cette carrière solo vous a permis de vous émanciper et d'exister en tant qu'être, en tant qu'homme.
Oui, c'est vrai, parce qu'au fond, un groupe n'est jamais vraiment naturel.
"Un groupe impose une création collective, et moi, tout de suite, j'ai rêvé d'intimité. Je voulais dire des choses bien à moi et je les ai tues au nom du groupe."
Magyd Cherfià franceinfo
Et après, quand je me suis retrouvé seul, évidemment tout de suite ça a été l'obsession de dire : "je veux me raconter" et me raconter, c'était parler d'une femme. Et c'est ma femme qui un jour m'a dit : "Mais qu'est-ce que t'es femme !", parce que j'ai une gestuelle, paraît-il, efféminée, j'ai un verbe efféminé. Je ne sais pas trop ce que ça signifie. Et donc effectivement, tous mes livres, comme les albums ont cette espèce de touche féministe.
Vous dites que les femmes ont été longtemps piétinées et que votre mère, elle-même, a été "cartonnée" par votre père. Vous utilisez des termes qui sont forts. Était-ce aussi une façon de les soutenir, de mettre des mots sur ce qu'elles n'ont pas pu exprimer pendant des années ?
Alors évidemment, c'est difficile de dire : "ma mère est une femme battue", parce que ça ne se dit pas. Ma mère l'a caché et pourtant par moments, elle le revendiquait presque parce que ça l'identifiait, "je suis une femme puisque je porte quelque intérêt auprès de mon mari". Et alors, il y a une espèce de chuchotement, un murmure qui dit : "il ne faut pas le dire". Donc toute ma littérature a été excitée par : "il ne faut pas dire ça de nous", et autant je suis un défenseur de l'immigration, autant, je suis pour regarder à l'intérieur et dire : mais le mal est aussi là-dedans. Il n'est pas qu'à l'extérieur.
Maupassant, Flaubert, Hugo vous ont tout le temps accompagnés. Ils ont été vos meilleurs amis. Finalement, ce sont eux qui vous ont tendu la main à travers leurs ouvrages. On sent à quel point la littérature vous a sauvé, en quelque sorte.
Oui. Elle m'a fait Français. J'ai découvert dans cette littérature, notamment du XIXe, une culture. J'ai découvert une langue, j'ai découvert un peuple, un territoire. J'étais en manque de ça parce que quand on est issu de l'exil, on cherche des repères. Enfant, j'ai adoré à l'école quand on nous disait : "vos ancêtres les Gaulois". Il faut aussi le dire parce qu'on a aimé qu'on nous raccroche à un arbre. Et la France a raté ce rendez-vous. Ça peut marcher de dire à un Maghrébin, tes ancêtres les Gaulois, parce que tous les ancêtres se valent. Après, le réel vous prend de vitesse et artificiellement, vous refusez de vous identifier à vos ancêtres les Gaulois et moi, en secret, non.
Vous avez mis du temps à apprécier Brel parce que vous aviez honte à ce moment-là d'être arabe, immigré, d'être pauvre aussi.
Quand on est enfant, oui, on a honte d'être pauvre. On a honte d'avoir des parents démunis, faibles, fragiles, apeurés, terrorisés.
"Aujourd'hui, à 85 ans, ma mère est terrorisée à l'idée du Rassemblement national parce qu'elle se dit : 'ils vont nous chasser'. C'est quand même incroyable d'avoir peur d'être chassée après plus de 60 ans de présence tranquille en France."
Magyd Cherfià franceinfo
Avez-vous peur ?
Je n'ai pas peur. Je dois vous dire que je m'y attends. Je vois depuis presque un demi-siècle, finalement, ce refus de nous assumer comme une composante française. Et donc je me dis que ça devait finir par arriver. Ça arrive et je n'ai pas peur parce que je suis Français. Si on me chasse, on chassera un Français, démerdez-vous !
Pour terminer, cet album est un album de souvenirs et d'espérance. C'est un album rempli d'espoir.
Oui, j'ai des enfants d'une vingtaine d'années et on ne peut pas leur dire : "c'est mort". La société cosmopolite dont on rêve, à laquelle prétend la République reste un objectif. Alors évidemment, c'est difficile, mais c'est inéluctable, nous serons mélangés ou nous ne serons rien.
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