Olivier de Kersauson livre ses mémoires : "Je trottine à la frontière d'Alzheimer de façon très heureuse"
Garder le cap tout en partant à la dérive, affronter l'indomptable et se mesurer à l'intouchable avec comme seule et unique boussole la conviction et la passion, pourrait résumer, l'homme qu'Olivier de Kersauson est. Son premier voyage a été initiatique, en auto-stop, et il l'a conduit à naviguer. La nuit en mer, ses oreilles deviennent ses yeux, c'est ce qu'il écrit, explique et raconte dans son dernier ouvrage, Avant que la mémoire ne s'efface. Quelques propos maritimes, aux éditions du Cherche-Midi.
franceinfo : Quel rapport entretenez-vous avec la mémoire ?
Olivier de Kersauson : J'ai été très malade, j'ai été soigné, bien soigné et je crois que ça a accéléré mon vieillissement, donc une partie de ma mémoire est moins bonne et je trottine à la frontière d'Alzheimer de façon très heureuse, puisque n'ayant plus de mémoire, il ne me reste plus rien. Il y a des pans entiers de mon existence qui sont complètement occultés, mais ce n'est pas grave.
Est-ce que la mémoire est sélective ?
Si la mémoire était vraiment sélective, quel type de sélection fait-elle ? Est-ce qu'on se souvient de ses bonheurs ou est ce qu'on se souvient de ses chagrins ? Je suis d'une nature heureuse ce qui fait que ce qui m'intéresse, c'est l'action. Je ne me souviens pas longtemps et je n'ai aimé que l'action, donc je suis heureux dans l'action. La mémoire, c'est un effet annexe et un effet collatéral de l'existence que j'ai eue. Mais ce n'est pas une finalité, j'ai été heureux en agissant.
On a l'impression que pour vous, une émotion, c'est une fragilité ?
Non, je pense qu'on ne doit pas se laisser dominer par les émotions et avoir de l'âme au sens étymologique du terme, pour moi, c'est dominer ses émotions. Il faut qu'on ait un projet pour ne pas rester bringuebalé par la vie, par le cahotement que peuvent provoquer les émotions. Elles peuvent provoquer des moments merveilleux.
"J'ai toujours été content de recevoir, mais j'ai été heureux de pouvoir créer."
Olivier de Kersausonà franceinfo
Vous dites qu'il vous fallait découvrir le monde pour ne pas vous apercevoir à 50 ans que vous n'aviez pas habité au bon endroit. À 80 ans, est-ce que vous avez eu le sentiment d'être allé là où vous voulez aller ?
Oui, de ce côté-là, tout est parfait. Je me souviens très bien de cette espèce d'inquiétude, de dire, on peut passer à côté de sa vie, mais je ne voulais pas passer à côté de l'endroit de ma vie. La visite du monde m'a permis de voir plusieurs endroits où j'aurais pu vivre et être heureux et je suis content de les connaître.
Que signifie réussir sa vie alors ?
C'est de la chance d'abord. Moi, j'ai beaucoup de chance, je pense tout le temps. On a des devoirs aussi. Mes deux grands-pères sont morts à la guerre de 14 et sont morts jeunes. On se dit qu'on leur a volé leur vie et vous, vous avez la chance de vivre cette vie en entier, donc vous avez un devoir d'exister. Gérard d'Aboville disait : "On doit le faire pour ceux qui auraient aimé le faire et qui n'ont pas pu". La solidarité, elle est là-dedans. C’est-à-dire que si moi, j'avais été l'aîné d'une fratrie de trois enfants et mon père disparu à la guerre, je n'aurais pas pu faire ce que j'ai fait. Il aurait fallu que j'élève plus ou moins mes frères et sœurs, que j'aide ma mère. J'étais libre, je n'ai jamais eu ça et je n'ai pas eu de contraintes. Quand on n'a pas de contraintes, on a des devoirs, moi, c'est comme ça que je le vois.
Est-ce que ce qui ne vous rend pas plus fort que les autres, c'est d'avoir réussi à dompter la solitude et d'en avoir fait un allié ?
J'ai toujours aimé être seul. Vous savez, une famille de huit, il y a toujours une corvée qui vous tombe dessus, donc l'isolement est plutôt une bonne histoire. J'ai compris très petit, qu'on était seul. J'ai compris ça et je me souviens d'avoir été chagriné et après en avoir été heureux. J'avais compris que la vie nous glissait comme l'eau entre les doigts.
"En grandissant, j'ai compris qu'il fallait compter sur personne, jamais que sur soi-même."
Olivier de Kersausonà franceinfo
Donc ça fait une vie assez simple.
Il y a quand même une forme de regret que vous avez et que vous ne vivez pas forcément toujours très bien, c'est ceux qui ont disparu et qui vous ont accompagné.
Les gens que j'ai aimés, ça me hante parfois oui, j'ai trouvé important de ne pas les abandonner. Je suis d'eux, ils sont de moi et ils m'ont construit. Leur disparition a pu m'attrister, mais souvent, elle m'a donné le devoir d'être digne des gens qui vous ont aimé et de ne pas céder. On a 150 fois l'occasion de céder à la facilité parce que c'est dur, et moi, j'ai pensé que, à cause d'eux, on devait aller au dur. C'était la façon d'être solidaire et de leur rendre hommage. C'est archaïque et assez primaire, je sais, mais je m'en fous, moi, c'est comme ça que je pense et c'est comme ça que j'ai essayé de vivre et ça me convient. Je ne me suis pas attardé sur les meurtrissures, les chagrins, et c'est pourquoi j'ai toujours essayé de vivre le réel de ce que nous vivons dans sa magie et sa beauté. Et puis de garder le lien. Les gens qui vous aiment vous ont construit et, aimer, construit aussi. Donc je pense que tout ça fait partie du meilleur de ma vie, je crois.
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