Samuel Pintel, rescapé de la rafle d'Izieu : "Il faut se souvenir de ce qui s'est passé il y a 80 ans parce qu'il y a une résurgence de l'antisémitisme qui est très préoccupante"
À 87 ans, Samuel Pintel est le secrétaire général de l'Amicale des anciens déportés de Bergen-Belsen. Il vient de publier L'enfant d'Izieu aux éditions HarperCollins. Il est une victime du nazisme, un rescapé, un miraculé de la rafle d'Izieu soigneusement organisée et menée par la Gestapo, mandatée par Klaus Barbie en personne, le 6 avril 1944. Il a eu la chance de ne pas faire partie des 44 enfants déportés de cette Maison d'Izieu située dans l'Ain, qui était devenue le refuge de 105 enfants et adultes juifs à partir de mai 1943. Il a eu, lui, la chance d'être l'un des 61 enfants qui ont échappé à cette rafle grâce à un couple de Parisiens qui est venu le récupérer quelques semaines avant.
franceinfo : L'enfant d'Izieu s'inscrit dans le présent à travers un hommage et un travail de mémoire. La mémoire, c'est essentiel ?
Samuel Pintel : C'est essentiel. Il faut se souvenir de ce qui s'est passé il y a 80 ans parce qu'il y a une résurgence de l'antisémitisme qui est très préoccupante.
Nous sommes le 16 novembre 1943, à Annecy, vous quittez l'école et regagnez votre hôtel quand un camion bâché arrive. Des soldats allemands en sortent et personne ne se doute finalement de ce qui va arriver.
Annecy était à cette époque sous le contrôle de l'armée italienne. Il n'y avait pas de persécution à l'encontre des Juifs. C'est après son départ que l'armée d'occupation allemande a occupé la totalité des départements français et a procédé à des rafles à partir de listes communiquées par l'administration française. Et le 16 novembre, c'est une rafle à laquelle je vais échapper par miracle.
Racontez-nous ce qui se passe parce que votre mère va se mettre dans cette file indienne.
Elle aurait pu choisir de s'échapper, elle aurait pu le faire par l'arrière du bâtiment, mais j'étais là, bloqué par le camion et elle est venue me rejoindre. Voilà. Les Allemands disposent de la liste des personnes qui sont là. Contrôles d'identité. Si votre nom figure sur la liste, vous êtes en état d'arrestation. Ma mère va bientôt être interrogée. Elle me tient la main. Son tour va arriver.
"Ma mère se tourne vers moi et me dit : 'Je ne suis plus ta mère. Tu me lâches la main, tu ne viens pas avec moi et tu prends la main de la personne qui est juste à côté’."
Samuel Pintelà franceinfo
Il y a à côté de moi une jeune femme qui est la seule femme non juive du groupe qui ne sera pas arrêtée. Et nous échappons à la rafle.
Parlez-moi de cette maison d'Izieu parce qu'aujourd'hui, vous la représentez, vous l'incarnez. Il y a une cérémonie qui aura lieu du 4 au 7 avril prochain, sans doute en présence du président de la République. Vous vous souvenez de la première fois que vous êtes arrivés dans cette maison ?
Nous sommes arrivés dans un état psychique, on dira, pas très favorable, on ne nous a pas sorti le tapis rouge.
Vous arrivez en carriole, vous avez froid.
C’est une maison d'enfants dirigée par le couple Zlatin, un havre de sécurité. Au tout début, les enfants font le guet pour voir si les Allemands n'arrivent pas et puis on se lasse de regarder parce qu'il n'arrive rien. La majorité des enfants qui sont là sont déjà orphelins, mais néanmoins ils vivent. C'était une maison pleine de vie. Hélas. Hélas le malheur va arriver et très vite, sur délation.
Parlons-en. On sait que l'ordre est donné par le chef de la Gestapo Klaus Barbie. D'où est venue la délation ?
À mon niveau, je ne sais pas. Ma mère, à son retour de déportation, m'a dit : "Tu as eu de la chance, tu étais dans une maison d'enfants qui ont tous été déportés".
"J'ai tout oublié pendant 45 ans."
Samuel Pintelà franceinfo
Il a fallu que le procès Barbie rappelle des choses, la rafle de ces enfants, que je reconnaisse les lieux parce que je n'avais aucune idée de l'endroit où se trouvait cette maison et que j'ai resitué lors des comptes rendus d'audience. J'ai attendu deux ans avant de me rendre sur les lieux et en parlant avec la fermière voisine, j'ai appris que l'ancienne directrice, absente le jour de la rafle, n'avait pas été arrêtée et qu'elle habitait Paris. Je lui ai demandé s'il y avait un lien possible, si je pouvais la rencontrer. J'ai eu un numéro de téléphone et de là est partie une autre aventure.
La maison d'Izieu est devenue aujourd'hui, une sorte de musée, un endroit où on se recueille, où on va découvrir ce qui s'est passé. Ça vous touche de savoir que c'est le lieu le plus visité du département de l'Ain ?
Oui, ça a été indispensable. C'était la raison de vivre de Madame Sabine Zlatin. Elle a consacré sa vie à faire que ce lieu devienne un lieu de mémoire. C'est arrivé longtemps après. Elle est allée jusqu'aux autorités les plus importantes, le président de la République de l'époque, François Mitterrand, qui a fait que ce lieu devienne un lieu de mémoire transformé dans le cadre des Grands Travaux.
De ne pas oublier, ça fait partie aussi de ce travail de mémoire que vous mettez en place. De ne pas oublier, non plus, qu'on n'est jamais très loin d'un basculement.
Oui, ça s'est produit, ça peut se reproduire.
Vous témoignez régulièrement au sein des écoles.
Oui, je témoigne depuis pratiquement 20 ans. J'ai un excellent contact avec les élèves, toujours très ouverts et j'essaie de les sensibiliser pour que ces choses-là ne se reproduisent pas.
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