Seule en scène, Zabou Breitman incarne Dorothy Parker, une femme libre des années 1930 : "Elle fait tout ce qui est impensable"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, la comédienne et réalisatrice Zabou Breitman.
Actrice, réalisatrice, metteuse en scène, Zabou Breitman a reçu le César de la meilleure première œuvre pour Se souvenir des belles choses en 2003 et quatre Molières pour des pièces de théâtre comme L'Hiver sous la table (2004) et Des gens (2009). Depuis le 8 septembre et jusqu’au 24 octobre, elle est seule en scène au théâtre de la Porte Saint-Martin dans le spectacle Dorothy, qu'elle a écrit à partir d'œuvres de Dorothy Parker.
franceinfo : Dorothy Parker ou l'histoire d'une femme qui était résistante, autrice, romancière, poétesse, journaliste, critique de théâtre, scénariste, grande plume du New Yorker... Elle a légué tout ce qu'elle avait à Martin Luther King. Était-ce un hommage que vous souhaitiez lui rendre ?
Zabou Breitman : Oui. Pour qu'on la connaisse un petit peu en France. Elle l'est aux États-Unis. Quand on s'aperçoit effectivement de tout ce qu'elle a pu faire, on découvre que c'est vraiment un personnage qui mérite d'être connu.
Dorothy Parker a fait avancer les choses tout en étant totalement libre, assez redoutable, très alcoolique et revendiquant à peu près tout. La vraie liberté brillantissime, un humour très noir, mais très drôle.
Zabou Breitmanà franceinfo
Ce spectacle est aussi une déclaration d'amour à la liberté, à la culture, à l'éducation.
Oui. C'est quelqu'un qui a dû se fabriquer un peu toute seule parce que ses parents sont morts quand elle avait une vingtaine d'années. Mais ce qui m'a plu et ce qui me plaît chez elle, c'est son anticonventionnalisme. Elle décrit justement toutes ces cases dans lesquelles on voulait absolument la mettre, dans les années 1930. Et elle s'est échappée, à chaque fois. Elle fait tout ce qui est impensable, elle dit : "Ben oui, je vais le faire."
J'ai l'impression que ce spectacle est une énorme partie de vous. C'est drôle, poétique et un peu dramatique. Il faut remonter à votre enfance : votre papa était scénariste, votre maman, comédienne. Est-ce d'abord un hommage à votre maman, Céline Léger, à ce qu'elle vous a transmis et à l'image que vous aviez d'elle ?
C'est très dramatique. On parle de l'empêchement féminin. Or, ma mère a été une femme empêchée. J'ai compris plus tard que ma mère était une femme qui n'aurait pas eu besoin d'avoir d'enfant, qui voulait être une femme absolument libre. Je l'ai compris trop tard pour le lui dire, mais en tout cas suffisamment tôt pour pouvoir honorer Dorothy Parker et oui, c'est un hommage à ma mère. C'est évident.
Que gardez-vous d'elle ?
Je garde cette rébellion. Elle était introvertie, très timide, donc elle buvait pas mal. Ça lui permettait de surmonter tout ça. Moi, je ne bois pas parce que je n'ai pas ce problème, ce souci-là, des gens très timides. Je crois que j'ai gardé cette espèce de plaisir et j'ai gardé cette espèce de liberté.
Est-ce elle qui vous a transmis cette envie de jouer ?
C'était sa vie d'entrer en scène. On lui a interdit. Elle a été premier prix du Conservatoire au Québec, mais je l'ai su très tard, elle n'en parlait pas, elle était très secrète. Je n'ai pas eu envie du tout de faire ça, je voulais être professeure d'anglais. D'ailleurs, j'ai commencé par le cinéma qui me semblait plus facile. Elle, le théâtre, c'était sa passion, il n'y avait pas plus beau au monde que le théâtre.
Au théâtre, il y a peu de gens : vous avez un cadre et à l'intérieur de cela, vous devez faire de la magie.
Zabou Breitmanà franceinfo
Vous rappelez-vous de vos premiers pas en 1965 ?
Oui. Je m'en rappelle parce que c'est mon père qui écrivait Thierry la Fronde et ma mère qui jouait. J'étais furax parce que mon père ne m'avait pas écrit un rôle et j'ai rouspété. Du coup, il m'en a écrit un.
En 1992, vous commencez à avoir une belle notoriété notamment avec les films La Crise de Coline Serreau, et Cuisine et dépendances de Philippe Muyl (1993). Et en 2001, vous passez à la réalisation avec Se souvenir des belles choses. Était-ce une grosse décision ?
J'avais envie de réaliser, mais je n'avais rien fait pour. Et Xavier Gélin, producteur, me téléphone un jour et me dit : "Tu devrais réaliser, je suis sûr que c'est ton truc. Propose-moi quelque chose !" Ça s'est passé comme ça. J'ai proposé trois choses. Et la troisième chose, ça s'appelait à l'époque : "Moi, c'est la mémoire" et je lui ai dit que je ne pouvais pas écrire toute seule, que j'avais besoin d'écrire avec quelqu'un. Il me dit : "La mémoire. Il faut que tu écrives avec ton père."
Votre père, Jean-Claude Deret, est-il l'un de vos plus gros piliers ?
Oui. Mon père, c'est la liberté, la culture extrême, sur tous les sujets. C'est un champion du monde du Trivial Pursuit. Ce que je veux dire c'est que c'était "Papa Google". C'était un apprentissage ludique.
Mon père me parlait toujours de l'apprentissage passif. Il faut avoir un bon équilibre entre ce qui est utile et ce qui est inutile.
Zabou Breitmanà franceinfo
Vous êtes comme ça, vous vous nourrissez de tout. Vous avez besoin de challenges en permanence, de vous surprendre.
Oui, mais que je ne vis pas comme des challenges. J'aime ce qui est nouveau parce que je ne connais pas encore le chemin pour arriver à quelque chose et le chemin m'intéresse autant que le résultat.
Est-ce que par moments vous avez eu peur ?
J'ai peur qu'il n'y ait pas de monde, de ne pas attraper les gens, de ne pas les concerner dans un spectacle seule en scène. Pour Dorothy, il y a une réelle difficulté sur ce spectacle parce qu'en plus, je fais la régie lumière et son en même temps, à vue. Là, j'ai la trouille. Une fois que je suis sur scène, je me dis : "Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Mais tu es complètement givrée." De toutes façons, dès que je commence un spectacle, j'ai envie de changer de métier.
Quelle est la suite ?
Tout est magie, sinon rien. Et pour répondre à votre question, la prochaine magie, ça sera Zazie dans le métro en comédie musicale.
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