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Algérie : deux ans après, que reste-t-il de la contestation du Hirak ?

Il y a deux ans tout juste, naissait en Algérie un mouvement de protestation inédit qui allait conduire à la démission du président Bouteflika. C'était en avril 2019. Deux ans plus tard, les militants du "Hirak" continuent de payer le prix de leur mobilisation.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Manifestation du Hirak contre le pouvoir à Alger le 24 décembre 2019. Photo d'illustration. (ADEL SEHREI/WOSTOK PRESS / MAXPPP)

Interpellations, poursuites judiciaires, condamnations. Lundi 15 février, l'une des figures du mouvement, Chems Eddine Laalami, dit Brahim, a pris deux ans ferme, pour "offense au président" et "publication de fausses informations". Il y a deux ans il était simplement apparu devant les caméras avec une grande pancarte dénonçant la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat. Déjà condamné en juillet à 18 mois de prison ferme pour, entre autres,
"outrage à corps constitués" et "outrage à fonctionnaire", le militant avait été à
nouveau interpellé le 8 septembre, quelques jours après avoir été libéré à la
suite d'une réduction de peine. Lors de précédents procès, Brahim Laalami a déjà été condamné à trois ans d'emprisonnement, dont une partie a été purgée.

Son cas, emblématique de l'acharnement judiciaire contre les voix critiques, est loin d'être unique. Ce lundi 15 février, deux autres militants, Ali Naib et Nasreddine Younes, ont eux été condamnés à six mois pour "financement étranger pour des actes ayant pour but d'atteinte à la sécurité de l'État". Et pourtant il n'y a plus de grandes marches le vendredi : cela fait un an qu'elle sont suspendues en raison de la crise sanitaire.

Au début de son mandat, Abdelmadjid Tebboune promettait d'être le président de la rupture, à l'écoute des revendications de la société. Mais au fil des mois, quand la contestation s'est reportée sur les réseaux sociaux, sa main tendue s'est transformée en poigne de fer : le pouvoir fait tout aujourd'hui pour que ce feu qui couve ne se rallume pas.

"Dérives liberticides"

Le ministre de la communication a beau répéter qu’"il n’existe pas de prisonniers d’opinion en Algérie", selon le Comité national de libération des détenus plus de 70 personnes en lien avec le Hirak sont aujourd'hui en prison. Des poursuites fondées dans au moins 90% des cas sur des publications critiques envers les autorités sur les réseaux sociaux. Les associations de défense des droits civiques dénoncent plus largement la crispation du régime et des dérives liberticides.

Cette répression n'a pas découragé les Algériens. D'ailleurs des rassemblements sont toujours prévus pour l'anniversaire du Hirak. Aujourd'hui, plusieurs milliers de personnes sont attendues à Kherrata, l'une des premières villes à manifester il y a deux ans.

Hier c'est à Bejaïa, en Kabylie, qu'une marche a été organisée pour "la libération des détenus et contre la répression des libertés". L’indignation est aussi montée d’un cran lors du procès de Walid Nekkiche, le 1er février. Le jeune homme de 25 ans, arrêté en marge d’une marche du Hirak, a passé plus d’un an en détention administrative. Il accuse les forces de sécurité de l'avoir violé pendant sa garde à vue. Son histoire a profondément choqué l’opinion publique. 

La crise, économique et sanitaire, alimente évidemment la colère : la rente des hydrocarbures s’amenuise (le volume global des exportations a reculé de 40% en valeur), en 2020 la croissance est tombée à - 6,5% et le taux de chômage explose.

Le président contesté

Le pouvoir, lui, apparaît de moins en moins crédible. Les absences à répétition du président n'arrangent pas les choses. Contaminé par le Covid-19 fin octobre, il est parti se faire soigner en Allemagne. Deux mois d'hospitalisation et une communication minimaliste sur son état de santé... Le chef de l'Etat a 75 ans et c'est un gros fumeur. À peine rentré, aussitôt reparti : un mois d'hospitalisation pour se faire opérer d'une complication au pied.

Le président Tebboune a eu beau faire savoir depuis son lit d'hôpital qu'il suivait  "quotidiennement, heure par heure, tout ce qui se passe en Algérie", ses disparitions prolongées ont alimenté toutes les rumeurs sur une éventuelle vacance du pouvoir, et réveillé le spectre du 4e mandat d'Abdelaziz Bouteflika, quand l'ex-président, frappé par un AVC, était devenu impotent et aphasique. 

Pour tenter de calmer la colère populaire, Abdelmadjid Tebboune a organisé un référendum, le 1er novembre, sur une réforme de la Constitution. Le texte limite à deux le nombre de mandats présidentiels et facilite la création d'associations et la liberté de manifester. Les Algériens n'y ont vu qu'un ravalement de façade. Ils ne sont que 23,7 % à s’être rendus aux urnes.

Face à la crise politique, le chef de l'État, qui a conduit des consultations tout le week-end, envisage un remaniement du gouvernement dans les prochains jours et des élections législatives anticipées d'ici l'été.

Le Hirak, et après ?

L'occasion pour le Hirak de faire sa mue et de se transformer en mouvement politique ? Pas forcément. Le Hirak reste un mouvement sans leader, écartelé entre deux tendances qui de toute façon ne veulent pas entrer dans le jeu électoral : d'un côté, "Nida 22" ("l'appel 22", en référence à la date du déclenchement du Hirak le 22 février 2019) qui rassemble des activistes et universitaires, de l'autre "Al-Massar Al-Jadid" ("nouvelle voie"), qui tente de trouver une synthèse entre Hirak et pouvoir en place.

Nombreux sont ceux qui regrettent cette "obsession" du statut d'opposant qui laisse toute la place à l'ancien système et aux islamistes.

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