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Tunisie : pour protester contre le président, les électeurs ne vont plus voter

Avec près de 89% d'abstention dimanche 29 janvier au second tour des élections législatives en Tunisie, difficile de faire plus clair : les électeurs refusent de cautionner la dérive autocratique du chef de l'État.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Un bureau de vote à Tunis (Tunisie), le 29 janvier 2023. (FETHI BELAID / AFP)

L'opposition, qui avait appelé au boycott de ce scrutin, pas plus crédible selon elle qu'"une pièce de théâtre", parle même de la "dérive dictatoriale" du président Kais Saied. Elle réclame désormais un front uni, politique et syndical, pour provoquer une élection présidentielle anticipée qui permettrait de chasser le président du pouvoir. À peine plus d'un Tunisien sur 10 a pris la peine d'aller voter hier (11,3% de participation selon les résultats provisoires).

La gifle est d'autant plus violente que le premier tour avait déjà été marqué par une abstention historique du même tonneau, quasiment 90%. Alors que ces dix dernières années, la participation était devenue massive dans cette Tunisie qui n'avait pas oublié pas que c'était elle, le berceau des soulèvements démocratiques du Printemps arabe.

Une succession de réformes pour présidentialiser le régime

Ce renouvellement anticipé du parlement, après le changement de Constitution l'an dernier, c'était l'étape ultime d'une série de réformes mises en place par Kais Saied pour obtenir tous les pouvoirs.

La nouvelle assemblée, par exemple, n'a plus le droit de valider sa destitution ; pour présenter une proposition de loi, il ne suffit pas d'un député, comme en France, il faut qu'ils soient 10 à signer le même texte et de toute façon les textes présentés par le président seront votés en priorité.


À l'été 2021, il est arrivé au pouvoir avec un objectif : faire disparaître le système parlementaire existant, vider de sa substance le poste de Premier ministre, affaiblir le pouvoir judiciaire, en un mot tout remettre entre les mains du chef de l'Etat, seule façon selon lui de lutter contre la corruption et l'incompétence politique. On revient à la Tunisie d'avant 2011 dans laquelle s'était épanoui le dictateur Ben Ali.

Inflation à 10%

Mais le désintérêt des Tunisiens s'explique aussi par le contexte économique. Les électeurs pensent beaucoup moins aux élections (et aux candidats) qu'à la hausse des prix (l'inflation a encore atteint 10% en décembre) ; au quotidien, il faut faire face aux pénuries de lait, de beurre, de sucre, d'huile, de café. Faire la queue devant les magasins pour ces produits est devenu un sport national. Ces produits sont subventionnés, mais l'État qui n'a plus les moyens de les importer : en pleine négociation avec le FMI, la Tunisie préfère rembourser ses emprunts plutôt que de creuser sa dette. Il faut ajouter à cela une croissance en berne, un chômage officiel à 15%. La situation est devenue tellement difficile, que l'an dernier, plus de 32.000 Tunisiens ont préféré quitter clandestinement leur pays.

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