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Roissy : justice express sur le tarmac ?

C'est l'une des polémiques qui agitent la rentrée judiciaire : l'ouverture prochaine de deux annexes du tribunal de Bobigny dans l'enceinte même de l'aéroport de Roissy, où se déciderait le sort des étrangers en situation irrégulière ou pas. Les associations de sans-papiers et de défense des Droits de l'Homme dénoncent une future "justice d'exception", qui serait rendue à l'abri des regards extérieurs.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Pour
trouver le nouveau Centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot ou la
Zone d'attente de Roissy, il faut atteindre deux no man's lands au bout du bout
des pistes. Le CRA, le plus grand de France, ressemble à une prison. La Zone
d'attente à un hôtel défraichi. Les deux sont entourés de fils barbelés. 

C'est
dans ces lieux coupés du monde, à peine desservis par les transports, que dans
les prochains mois doivent ouvrir deux salles d'audience, spécialisées de fait
dans les dossiers de migrants.

Economie de temps et de fonctionnaires pour les uns...

Parmi les défenseurs du projet, il y a le président du TGI de Bobigny et la
procureure de ce même tribunal. Il y aussi des syndicats de policiers, comme
Synergie. Son secrétaire général Patrice Ribeiro en souligne les avantages,
surtout en terme d'organisation : "Cela permettra d'économiser des centaines
voire des milliers d'heures, de fonctionnaires
".

"Aujourd'hui il faut procéder à des
escortes vers le tribunal de Bobigny, à des transfèrements, avec des
fonctionnaires dédiés. Et puis, ce tribunal de Bobigny, même si le dépôt a été
rénové, ne permet pas de recevoir les gens dans des conditions
dignes
", ajoute Patrice Ribeiro.

... "justice d'exception" pour les autres

Pour
les "anti-délocalisation", au contraire, ces arguments sont des prétextes pour
installer à Roissy une véritable justice d'exception. Une justice quasiment sans
témoins, alors que la publicité des débats est l'un des socles du système
judiciaire. Une justice rendue sous la pression permanente des services de
police, comme l'explique Stéphane Maugendre, le président du Gisti, l'une des
principales associations de défense des étrangers en France : "Vous voyez bien
que le magistrat ne va pas être dans son lieu naturel, qui est le Palais de
Justice. Un lieu un peu protégé, où il peut réfléchir et juger sereinement. Dans
ces nouveaux locaux, il sera constamment au contact de services policiers. Il
sera sous pression
".

Les
avocats craignent eux aussi de devoir exercer leur mission dans ce contexte très
particulier. De plus, explique l'un d'entre eux, Patrick Berdugo, ils seront
sans doute privés de moyens : "Je ne vois pas ici d'équipements qui seraient
dédiés à la défense. Dans tous les palais de justice, ils existent, mais pas
ici. Parce qu'on est pas dans un vrai palais de justice. On peut se poser la
question légitime des moyens accordés à la défense
".

"La droite n'a pas réussi à mettre ce projet en place pendant dix ans. Et c'est la gauche, qui, en un an et demi, va finaliser ça !" ( Robert Feller)

Au
delà des arguments des policiers et des professionnels, cette affaire a aussi
des résonnances politiques. Ce n'est pas la majorité actuelle qui a décidé de
créer ce tribunal délocalisé à Roissy. Mais elle ne l'a pas non plus remis en
cause.

Pour
beaucoup d'opposants, comme le bâtonnier du barreau de Bobigny, Robert Feller, ce
projet est pourtant indigne de la gauche : "La droite n'a pas réussi à mettre ce
projet en place pendant dix ans. Et c'est la gauche, qui, en un an et demi, va
finaliser ça ! Madame Taubira n'a pas pris la mesure de l'ampleur du dossier
et s'est laissée un peu manipuler par le ministère de
l'Intérieur
".

Christiane
Taubira a avancé récemment des arguments financiers pour ne pas annuler le
projet. Il faudrait que son ministère rembourse, sur son budget, le coût des
travaux, soit 2 millions 700 mille euros. Un gâchis d'argent public que la Garde
des Sceaux ne semble pas vouloir assumer.

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