L'affaire Farewell
L'histoire débuta officiellement en juillet 1981, au sommet d'Ottawa, lorsque François Mitterrand rencontra en privé le président américain Ronald Reagan. Au coeur de l'entretien, la révélation du "secret Farewell". Épaté, Reagan s'exclama : "C'est le plus gros poisson de ce genre depuis 1945 ! "
En tête à tête, le président français dévoila à un Reagan stupéfait que l'URSS connaissait la totalité de la couverture radar des Etats-Unis, et qu'elle pourrait anéantir la défense américaine en cas de conflit. Grâce à cette entrevue, la France de Mitterrand regagna la confiance de Washington.
Longtemps tenue à distance par l'administration américaine, à cause de la participation des communistes au gouvernement, Paris venait de réintégrer le club des démocraties à la pointe de la lutte contre l' " empire du mal " soviétique.
Peu après, Marcel Chalet, directeur de la DST, se rendit à Washington pour informer plus en détail le vice-président George Bush, ancien directeur de la CIA. Tout avait en réalité commencé au début de l'année.
Vladimir Vetrov
Le lieutenant-colonel Vladimir Vetrov avait rendez-vous avec un Français de passage à Moscou.
Il lui avait transmis un message urgent. Cet officier supérieur du KGB se disait prêt à révéler aux services secrets français le "contenu de dossiers explosifs". Les Français furent prompts à comprendre l'importance de cette affaire. Le dissident fut immédiatement recruté par la DST, mais, assez rapidement, celle-ci passa la main à la DGSE qui se chargea – comme l'exigeait la déontologie – de la poursuite des opérations hors du territoire français. La biographie de Vetrov fut aussitôt examinée par les meilleurs analystes des services et son parcours parut étonnamment banal pour un officier du KGB.
Au début, il suivit la voie classique des jeunes Soviétiques. Vetrov se trouva en poste à Paris de 1965 à 1970, sous la couverture d'un « ingénieur spécialiste en électronique ». Mais contrairement à ses homologues plus circonspects, il jouait à la roulette russe en trafiquant du caviar et d'autres produits de luxe. Et en attirant déjà l'attention des services français.
Vetrov faisait partie du dispositif du KGB chargé de la collecte des informations scientifiques et techniques. Affrontant les réalités occidentales, il pouvait à loisir comparer les deux systèmes. Et ses conclusions étaient nettement défavorables à l'URSS. Finalement, en juillet 1970, Vladimir Vetrov fut rappelé à Moscou.
Au service de la France
Vetrov avait parfaitement conscience des défauts du système soviétique. Nostalgique de Paris, francophile, écoeuré par le système soviétique, il décida de se tourner vers les services secrets français. Au printemps de 1981, par l'intermédiaire d'un homme d'affaires français de passage à Moscou, il fit donc parvenir à la DST un message dans lequel il proposait ses services.
En mars 1981, les Français doutaient encore ; mais en avril, ils étaient déjà convaincus : Vetrov donna le nom d'une "taupe" du KGB et fournit plusieurs dossiers brûlants sur le pillage technologique auquel se livraient les Soviétiques au profit de leur complexe militaro-industriel, le VPK.
La DST comprit alors qu'elle avait ferré un très gros poisson, qu'elle baptisa, en anglais – pour brouiller les pistes –, "Farewell" (Adieu). Au cours de l'année suivante, Vetrov produisit plus de quatre mille documents attestant ces activités de collecte et d'analyse de données scientifiques et techniques.
Il permit de démasquer un grand nombre d'espions du Kremlin dans les pays occidentaux et révéla avec précision l'identité de quatre cent cinquante agents du KGB. Grâce à lui, la branche scientifique du renseignement soviétique des années 1980 fut décapitée et, avec elle, un pan entier de l'économie de l'URSS, menacé de faillite.
Fin de l’aventure
En date du 29 mars 1985, Jacques Attali consigna : "Bruno Masure révèle l'affaire Farewell au journal télévisé. Il faut tout arrêter. Farewell est perdu. " Le conseiller de François Mitterrand visait juste. L'agent avait en effet cessé de se présenter aux rendez-vous fixés à Moscou avec son contact français. Il ne paraissait pas non plus aux entrevues de repêchage, et ne donna jamais plus signe de vie.
Officiellement, l'aventure de Vetrov s'acheva sordidement le 22 février 1982, après un curieux incident dans un parc de Moscou, mettant brutalement fin à l'opération "Farewell". Ce jour-là, alors qu'il buvait – et se querellait – avec une secrétaire du KGB avec laquelle il entretenait une liaison, Vetrov aurait été abordé par un collègue. Surpris et craignant peut-être d'avoir été démasqué, il tua ce dernier d'un coup de couteau. Sa maîtresse tenta de s'enfuir : il la poignarda également, de peur qu'elle ne le dénonçât. Mais la jeune femme survécut à ses blessures et témoigna contre lui.
Vladimir Vetrov, condamné pour meurtre à l'automne de 1982, purgeait depuis quelques mois une peine de douze ans dans la prison d'Irkoutsk, lorsque le KGB commença à le soupçonner d'espionnage. Il signa son arrêt de mort en rédigeant une confession qui s'achevait en ces termes : "Mon seul regret est de n'avoir pu causer plus de dommages à l'Union soviétique et rendre davantage de services à la France. "
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