La succession de Staline : le KGB joue et perd
Au petit matin, plusieurs chars aux chenilles alourdies par la neige entrèrent dans Moscou et prirent position autour de la Place rouge. Comme pour marquer un point contre lui, le comandant en chef de la marine avait mis ses forces en état d'alerte.
Qui, parmi les grands boyards, allait l'emporter ? Les dés tombèrent d'eux-mêmes : Malenkov, Beria et Molotov constituèrent un triumvirat. Ils marchèrent en tête des funérailles solennelles sur la place Rouge. Mais cet arrangement était transitoire.
La logique du Kremlin ayant toujours été de placer la Haute police au-dessus des autres boyards, Beria semblait nettement avantagé. De fait, il se comporta pendant cent jours comme le troisième tsar rouge, multipliant de sa propre autorité les réformes et les initiatives diplomatiques. Pendant les funérailles, Beria fit tout, sans doute trop, pour mettre en valeur sa puissance.
Beria souhaitait très probablement libéraliser l'économie du pays, peut-être instaurer une forme de multipartisme et sans doute retirer le soutien soviétique à l'Allemagne de l'Est pour permettre sa réunification avec l'Allemagne fédérale. Certes, il y avait là des calculs personnels : en lâchant l'Allemagne, il achetait la bienveillante neutralité de l'Occident, et en limitant le pouvoir d'un parti communiste (qu'il savait ne pas pouvoir dominer) il avait espoir de garder les reines.
S'agissait-il d'une libéralisation en trompe I'œil, selon les méthodes ancestrales ? En tout état de cause, les décrets pris par Beria au printemps 1953 furent effectivement appliqués et la terreur apocalyptique, qui avait marqué les règnes de Lénine et de Staline ne reprendra jamais.
Khrouchtchev contre Béria
Ces projets auraient pu sonner le glas de la guerre froide et diminuer la domination du parti communiste. C'est sur ce plan là que Beria fut en quelque sorte le précurseur des futurs réformateurs du Kremlin. Mais la crainte qu'inspiraient ses ambitions unifia le reste des boyards contre lui. Ce fut Khrouchtchev, l'homme qu'il redoutait le moins l'estimant trop occupé par les problèmes agricoles, sables mouvants du socialisme soviétique, qui allait prêcher la révolte. Lorsque Beria proposait un projet, il le contre-attaquait systématiquement. Celui-ci voulut alors assurer sa popularité et en appela aux droits de la personnalité humaine, à la légalité. Mais Khrouchtchev entreprit une campagne de chuchotements auprès de ceux qui avaient des raisons de se détacher de Beria.
La rébellion Est-allemande, le 17 juin 1953, allait provoquer sa chute. Le prétexte pour commencer l'offensive fut donné par les évènements. De Berlin-Est à Dresde, les manifestations se succédaient. Le maréchal Koniev, de Bohême, adressa des reproches à Beria : ces émeutes auraient dû être étouffées dans l'œuf par sa puissante organisation policière. Il avait "manqué de vigilance". Une telle accusation, sous Staline, l'aurait conduit dans une des caves de la Loubianka. Il fut seulement invité à se rendre au Kremlin. Le ministre de l'Intérieur pouvait difficilement repousser l'invitation.
Beria n'était pas assez vif pour riposter et il avait compris qu'on ne lui laisserait pas la possibilité de se défendre. Sa main caressait le cuir souple de sa serviette. Impossible de s'échapper. Après un instant de flottement, Khrouchtchev se leva pour la seconde fois. Il proposa que Beria soit "libéré" de ses fonctions. Malenkov appuya alors sur le signal et la porte de la salle s'ouvrit en grand. Les militaires apparurent. Beria, traqué, chercha à ouvrir sa serviette de cuir, mais Khrouchtchev lui immobilisa la main et tenta de la lui arracher. Cette lutte sans merci prit un caractère de symbole : celui qui allait réussir à tenir la mallette allait détenir le pouvoir au Kremlin. Khrouchtchev l'emporta.
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