Le secret de Gorbatchev
Interchangeables, fripés, cacochymes, les hiérarques du Kremlin se succédaient, prononçaient des discours convenus, chancelaient, s'éteignaient, étaient portés en terre par d'autres vieillards. La sénescence des chefs semblait refléter celle de l'Empire même.
C'est en partie pour conjurer ce sentiment que le bureau politique, dont six membres sur dix avaient près ou plus de 80 ans, s'était tourné vers son benjamin, alors âgé de 54 ans seulement.
Mikhaïl Gorbatchev était bel homme. Des taches de vin (qu'il se refusa bientôt à faire retoucher sur ses portraits officiels) maculaient son front. Mais son visage était régulier et presque harmonieux. On lui attribuait d'ailleurs, comme à beaucoup de Russes du Sud, des origines grecques.
Gorbatchev pouvait s'enorgueillir d'une épouse encore jeune d'allure et d'esprit, bien faite, aux pommettes asiatiques, aux prunelles vives : Raïssa. Ils étaient unis de longue date. Mais il en était toujours épris.
L’influence des services d’espionnage
À vrai dire, les services d'espionnage ne furent pas étrangers à ce choix : Gorbatchev avait été mandaté par les têtes pensantes du KGB pour être le "Deng Xiaoping russe". C'est-à-dire pratiquer une ouverture économique associée à un verrouillage du système.
Il fallait donc prendre des mesures immédiates, et Gorbatchev chargea Yakovlev d'y réfléchir. Il le rappela à Moscou pour le nommer à la tête d'un étrange centre scientifique, l'Imemo (Institut des relations internationales et de l'économie mondiale), avec mission d'en faire un laboratoire d'idées.
Cet autre "Vautrin" mit alors à la disposition du "Rastignac du Kremlin" un vaste réseau d'intellectuels nourris de dossiers.
Cependant, les dés n'étaient pas encore jetés. La situation était compliquée. Certes, l'homme fort du moment, Andropov, voulait voir son "protégé" lui succéder, mais à sa mort, au début de l'année 1984, les vieux bonzes du Kremlin lui préférèrent un sénile fonctionnaire du parti65. La faiblesse de ce "leader" attisa la lutte au sommet, qui devint dès lors impitoyable.
Bien choisir ses alliés
Gorbatchev ne s'y trompa guère. Il l'emporta grâce au soutien d'une alliance insolite entre le KGB, l'armée et l'intelligentsia ! Les deux premiers lui semblaient acquis par l'intermédiaire d'Andropov ; Yakovlev lui procura une ouverture inespérée dans les cercles intellectuels moscovites.
Il fit également bénéficier son protecteur de son art de l'intrigue, appris au fil du temps, de son expérience diplomatique et de sa connaissance des États-Unis, acquise en fréquentant l'université de Columbia à la fin des années 1950.
Ce réseau fut très efficace à la veille des élections de Gorbatchev au poste de secrétaire général du PCUS. Le 11 mars 1985, le politburo se réunit pour désigner le nouveau maître du Kremlin. Respectant les termes du marché conclu avec Gorbatchev, l'ami d'Andropov, le puissant ministre des Affaires étrangères Andreï Gromyko, coupa court à tout débat. Comprenant que la partie était jouée, les autres "boyards" le suivirent et Mikhaïl Gorbatchev fut élu.
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