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Les transfuges

Dans les années de la guerre froide la Moscou s'employa à analyser les méthodes occidentales de recrutement. Le KGB établit ainsi le profil type d'un transfuge, soulignant certains traits de caractère : "double loyauté", narcissisme, vanité, convoitise, arrivisme, mercantilisme, vie sexuelle désordonnée, penchant pour l'alcool.
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À l'appui de ces critères, Moscou conseilla à ses officiers recruteurs de prêter une attention particulière aux éventuelles frustrations des agents potentiels, dans leur cadre professionnel comme dans leur vie familiale, et de repérer leurs difficultés personnelles ou leur stress.

 

La composante idéologique ou politique, en revanche, était absente de ce portrait-robot

Puisqu'il était proscrit de critiquer le système soviétique, les causes profondes des défections étaient imputées aux vices de moralité des transfuges, en particulier à leur "virus de carriérisme" qu'exploitaient les services de renseignements de l'Ouest.

 

À l'époque de la guerre froide, la confusion régnait entre réalité et fiction, provoquant une paranoïa généralisée : les agents secrets semblaient s'être introduits partout.

 

Le transfuge le plus célèbre quitta le KGB en 1961 et fut donc immédiatement transféré au siège central de la CIA

À partir de ce moment, cette histoire prit un tour fantastique. Il s'appelait Golitsyne et commença par faire des caprices et récusa plusieurs officiers traitants américains qui, à ses yeux, n'étaient pas "assez haut placés pour être dignes de ses confidences" . Finalement, un spécialiste aguerri du contre-espionnage – James Jesus Angleton – fut désigné pour traiter son cas.

 

Les deux hommes établirent très rapidement un rapport de confiance, car ils partageaient sinon les mêmes convictions, du moins les mêmes hantises de l'omniprésence du KGB en Occident. Associant grandes révélations et propos fantasques, Golitsyne clama haut et clair que "les espions soviétiques [étaient] partout" .

 

Plus grave, le transfuge certifia qu'il existait un autre "grand espion" , cette fois au plus haut degré de la hiérarchie de la CIA.

Le plus souvent toutefois, Golitsyne ignorait l'identité exacte des agents qu'il dénonçait

Il ne donnait que d'assez vagues renseignements, car il n'avait jamais directement été l'officier traitant des informateurs soviétiques en question. Sa tâche consistait uniquement à évaluer les renseignements fournis par ces réseaux. En revanche, il voulait à tout prix – selon la formule du directeur du Sdece de l'époque, Marenches – "se faire mousser" .

 

Des dizaines de noms furent ainsi épluchées ; des centaines d'interrogatoires furent menés en présence de Golitsyne. Le comble fut que son propre officier traitant, Angleton, se vit à son tour soupçonné d'être espion soviétique! Les services secrets occidentaux s'immobilisèrent ainsi des années durant.

Tout le monde suspectait tout le monde

Un vrai théâtre de l'absurde ! Plus aucune opération d'envergure ne pouvait se monter, de peur que le KGB ne l'apprît grâce à sa "mystérieuse taupe" . Finalement, on se demanda si Golitsyne n'était pas lui-même un "agent provocateur de pur sang", envoyé par le Kremlin selon les bonnes vieilles méthodes de la police du tsar.

 

Mais rien n'arrêtait le zèle du transfuge. Dès lors, la chasse aux "taupes" devint obsessionnelle. D'après Golitsyne, le Canada, la Grande-Bretagne, l'Allemagne de l'Ouest et même la lointaine Australie avaient été les victimes d'une conspiration soviétique de grande ampleur.

 

Les meilleurs spécialistes du contre-espionnage dans ces pays furent convoqués sans délai à Washington, afin d'entendre ses révélations. Ils repartirent quelque peu interloqués, disposant simplement de vagues éléments pour entamer leurs recherches.

 

Le sabotage de la CIA

Soyons clair. Même s'il mit les enquêteurs sur la piste de nombreux agents soviétiques bien réels, Golitsyne sabota à sa façon les activités de la CIA. Il développa des théories de complot farfelues sur des agissements clandestins tous azimuts.

 

Pendant quelques mois, il réussit notamment à convaincre la CIA que la rupture de l'URSS avec la Chine (qui fut authentique), au début des années 1960, était un coup de bluff du Kremlin à l'intention de l'Ouest ! Golitsyne aurait même affirmé que le Printemps de Prague de 1968 – cet élan nettement perceptible du peuple tchécoslovaque vers la liberté – n'était qu'une "astuce communiste" .

 

Ce fut un temps de suspicion généralisée. Dans cette ambiance funeste, personne ne se sentait à l'abri. Et tous apportaient de l'eau à ce moulin à broyer les destins des agents secrets.

 

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