Batho dit-elle vrai sur l'empreinte carbone de l'énergie nucléaire ?
Faux.
Car le nucléaire, ce ne sont pas que les centrales, c'est toute une filière : il faut extraire l'uranium, l'enrichir, le transporter, construire les centrales — et la fabrication du béton produit énormément de gaz carbonique.
Un ancien cadre de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Daniel Weisser, a compilé 103 études rédigées dans le monde entier, sur l'empreinte carbone des différentes énergies. En moyenne, chaque kilowatt/heure d'électricité nucléaire produit rejette 66 grammes de CO2 dans l'atmosphère. C'est beaucoup moins que les centrales à gaz naturel (près de 500 gr) ou les centrales à charbon (autour d'un kilo). Mais cela reste deux fois plus que l'énergie solaire (32 gr) ou les éoliennes offshore (9 gr).
Parler d'énergie "décarbonée" est donc un abus de langage, un greenwahsing entretenu par Delphine Batho mais initié par Nicolas Sarbozy en 2007. Si on ne "verdit" pas le nucléaire, on exportera moins facilement nos centrales atomiques. Et on n'atteindra pas notre objectif de 23 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2020.
Autre phrase de Delphine Batho hier matin sur France Info :
Doublement Faux.
L'Allemagne respecte les engagements qu'elle a pris en matière de réduction des émissions de CO2. Elle a arrêté 8 de ses 17 réacteurs en 2011, tout en réduisant de 50 à 44 % la part du charbon dans son mix énergétique. Comment ? Grâce à des investissements massifs dans les énergies propres, à l'apport de la production d'électricité par les particuliers, mais surtout aux efforts consentis dans l'isolement des bâtiments et des maisons, réduisant ainsi les besoins énergétiques, et donc la pollution.La hausse du charbon en Europe est surtout observée dans les pays en pleine transition énergétique : Pologne, Hongrie, République Tchèque. Mais aussi en Espagne (+ 65 %), en France (+ 50 % en un an) et au Royaume-Uni (+ 35 %). Pourquoi ? D'abord pour des raisons économiques : le prix du charbon s'effondre parce que les Etats-Unis, qui sont passés aux gaz de schiste, achètent de moins en moins de charbon.
Ensuite parce la tonne de CO2 produite n'est pas taxée suffisamment cher en Europe, ce qui n'encourage pas à réduire ses émissions de gaz à effet se serre.
Enfin, parce qu'une bonne partie du parc de centrales à charbon qui ne répond plus aux normes européennes va devoir fermer, les Etats cherchent donc à rentabiliser ces centrales au maximum avant de les démanteler.
Moralité : à trop regarder la paille dans l'œil de son voisin, on ne voit pas la poutre qu'on a dans le sien !
A la suite de la diffusion de cette chronique, le cabinet de la ministre tient à apporter les précisions suivantes :
"La production d'énergie dans un réacteur nucléaire ne génère aucune émission directe de gaz à effet de serre. Elle est donc bien décarbonnée. Les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté en Allemagne en 2012 de 1,6 %. Selon l'agence fédérale allemande de l'environnement (UBA), plus de charbon et de houille ont été brûlés pour produire de l'électricité et le gaz a été davantage utilisé pour le chauffage des habitations".
Nous maintenons que présenter l'énergie nucléaire comme "décarbonée" est un abus de langage. Car il convient de prendre en compte l'intégralité de la filière nucléaire pour en établir le bilan carbone. Dans ce contexte, le kW/h nucléaire émet deux à sept fois plus de CO2 que le kW/h éolien offshore.
S'agissant des gaz à effet de serre émis par l'Allemagne, si la ministre voulait faire référence spécifiquement à l'année 2012, sortie de tout contexte général, il aurait fallu qu'elle le précise lors de son interview, ce qu'elle n'a pas fait.
Globalement, nous maintenons que l'Allemagne respecte, et même dépasse, les engagements qu'elle a pris lors de la signature des accords de Kyoto. Malgré ce très léger glissement en 2012, que nous concédons à madame Batho, la courbe reste très nettement en baisse. En 2010, l'Allemagne avait réduit, par rapport à 1990, de plus de 25 % ses émissions de gaz à effet de serre alors que ses engagements étaient de 21 % (source : agence de l'énergie allemande, équivalent de l'Ademe français)
Enfin, concernant la tendance générale des pouvoirs politiques à "verdir" l'énergie nucléaire, nous n'évoquons ici — car c'est le sujet de cette interview — que les gaz à effet de serre. Il ne faut pas oublier l'ensemble des éléments polluants utilisés par la filière nucléaire, et ce qu'elle laisse commé héritage aux générations futures : rappelons que de l'uranium usagé reste dangereux durant plusieurs centaines de milliers d'années.
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