Immigration : le Maroc donne-t-il "près de 80%" des laissez-passer consulaires qui lui sont demandés par la France ?
Paris et Rabat ont noué "un partenariat renforcé" contre "l'immigration clandestine", au terme d'une visite d'Emmanuel Macron au Maroc. Les réadmissions par le Maroc de ses ressortissants qui sont présents illégalement sur le territoire français est au cœur de ce partenariat, notamment pour "raccourcir les délais" de réponses du Maroc.
Ce pays est régulièrement accusé de ne pas délivrer suffisamment de laissez-passer consulaires et de bloquer le retour de ses ressortissants. Un rapport d'information du Sénat de 2022 décrivait la délivrance de laissez-passer par le Maroc comme "sporadique". Mais l'ambassadrice du Royaume du Maroc, Samira Sitaïl, a affirmé que c'était faux, mercredi 30 octobre sur franceinfo. "Il y a une vérité qui doit être rétablie, a-t-elle affirmé. Nous octroyons chaque année en moyenne près de 80% de laissez-passer consulaire sur les demandes qui sont présentées au Royaume du Maroc."
80% ou 25% ?
Ces chiffres ne correspondent pas du tout à ceux qui sont habituellement donnés sur le sujet. La dernière fois que le ministère de l'Intérieur français a communiqué sur le sujet, il avait indiqué que le Maroc avait accédé à 25% des demandes françaises de laissez-passer consulaires entre janvier et juillet 2021, comme le rapportait le magazine marocain TelQuel.
Il y a une grande différence entre 25% et 80% et pourtant les deux pourcentages semblent vrais. Le Vrai ou Faux a demandé à la fois à l'ambassade du Royaume du Maroc et au ministère de l'Intérieur français pourquoi leurs estimations étaient si différentes. Le ministère français a préféré ne pas répondre, pour ne pas se lancer dans cette bataille de chiffres sur ce sujet délicat, qui a été abordé pendant la visite présidentielle au Maroc.
Mais, après analyse des données envoyées au Vrai ou Faux par l'ambassade marocaine, il se trouve qu'en fait les deux pays parlent de la même chose mais avec deux points de vue différents, en tirant des conclusions différentes. Et comme les seules sources possibles sur le sujet des laissez-passer consulaires délivrés par le Maroc à la demande de la France sont les deux gouvernements, c'est un peu point de vue contre point de vue.
Deux points de vue qui s'opposent
Le point de vue français est le plus rapide à expliquer. La France compare simplement le nombre de demandes de laissez-passer consulaires qu'elle envoie au Maroc au nombre de laissez-passer qui sont effectivement délivrés. C'est ce qui a permis de trouver un taux de coopération marocain de 25% pour la première moitié de l'année 2021.
Mais le Maroc, lui, trie les demandes françaises avant de donner une estimation de son taux de coopération. Le service presse représentant l'ambassade note qu'entre 2018 et 2024, "la moitié des demandes d'identification reçues ne concernent pas des Marocains". Autrement dit, seulement la moitié des demandes françaises concernent des personnes dont l'identité marocaine a pu être prouvée par les autorités marocaines, et c'est donc à cette moitié des demandes françaises uniquement que le Maroc se réfère dans son calcul.
Par ailleurs, le Maroc inclut aussi dans son calcul des laissez-passer consulaires qui ont été émis mais qui n'ont pas été délivrés, notamment car les dossiers étaient incomplets ou parce que les laissez-passer n'ont pas été récupérés par les préfectures, donc des laissez-passer qui n'ont pas été suivis d'effet. C'est ainsi que l'ambassade du Royaume du Maroc assure à franceinfo que "de 2018 à 2024, le taux de laissez-passer consulaires émis parmi les personnes identifiées comme étant marocaines est de 88,1%". C'est à ce pourcentage-là que se référait l'ambassadrice Samira Sitaïl.
Une hausse des laissez-passer consulaires en 2023
Si l'on reprend les données fournies par l'ambassade du Maroc et qu'on leur applique la méthode de calcul française, on trouve alors un taux de coopération de 34%, ce qui est tout de même plus proche des dernières données dévoilées par le ministère de l'Intérieur même s'il n'est pas véritablement possible de comparer ces 34% aux 25% indiqués car le premier est une moyenne annuelle allant de 2018 à 2024, alors que le deuxième concerne seulement la première moitié de l'année 2021.
Il faut noter, par ailleurs, que si les éloignements vers le Maroc ont baissé depuis la fin des années 2010 - 867 en 2019, 178 en 2020, 170 en 2021 et 6 sur les deux premiers mois de 2022, selon le rapport d'information du Sénat – le nombre de laissez-passer consulaire délivrés par le Maroc à la demande de la France semble avoir de nouveau augmenté récemment, puisque le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau affirmait au début du mois, avant la visite présidentielle au Maroc, que Rabat avait délivré 725 laissez-passer consulaires en 2023.
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