Non, le gouvernement de Gabriel Attal n'a pas (encore) battu le record de longévité des gouvernements démissionnaires

Le gouvernement de Gabriel Attal est démissionnaire depuis 45 jours, mais il n'a toujours pas battu le record de longévité d'un gouvernement démissionnaire, contrairement à ce qui a été dit par plusieurs politiques, voire spécialistes.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié
Temps de lecture : 2 min
Le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal, le 23 août 2024. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

C'est un constat qui est revenu souvent dans les interviews politiques la semaine du samedi 24 août dernier. Ce jour-là, le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal allait, selon plusieurs observateurs, battre le record de longévité des gouvernements démissionnaires de la IVe et de la Ve Républiques. La présidente du groupe La France insoumise à l'Assemblée nationale, Mathilde Panot, en a notamment parlé dans une interview à LCI. Le député Nouveau Front populaire Alexis Corbière l'a dénoncé aussi sur franceinfo. Mais ce n'est pas si sûr.

Des débats sur une motion de censure

Leur avis est partagé par des spécialistes. Nicolas Hervieu, enseignant en droit public et européen à Sciences-Po et à l'Université d'Évry, a ainsi déclaré sur X, deux jours avant le 24 août, qu'"en droit, un record sera battu ce samedi : depuis le 16 juillet, 39 jours de persistance d'un gouvernement démissionnaire". Plusieurs médias ont aussi titré sur le franchissement de ce record, comme le journal Le Monde.

D'après leurs calculs, le gouvernement démissionnaire qui est resté le plus longtemps en poste entre l'acceptation de sa démission par le président de la République et la nomination du gouvernement suivant est celui de René Mayer, du 21 mai au 28 juin 1953, soit 38 jours, sous la IVe République. Toujours d'après eux, sous la Ve République, le record est seulement de neuf jours : le gouvernement de Georges Pompidou s'est occupé des affaires courantes du 28 novembre au 7 décembre 1962.

Mais c'est oublié ce qu'il s'est réellement passé en 1962. Le 5 octobre, l'Assemblée nationale a adopté une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou. Le lendemain, le Premier ministre a présenté sa démission au président de la République, comme le prévoit la Constitution, mais Charles de Gaulle l'a refusée.

C'est ce refus qui jette le flou dans les interprétations. Certains estiment que le gouvernement Pompidou n'était pas encore démissionnaire puisque la démission n'était pas acceptée. Sauf que le Conseil d'État en a jugé autrement. Dans plusieurs décisions prises dans les années 1960, il a acté que le gouvernement Pompidou était bien démissionnaire puisque la motion de censure lui avait retiré ses pleins pouvoirs.

Record de 62 jours pour le gouvernement Pompidou

Le 19 octobre 1962, le Conseil d'État a examiné la requête d'un certain Monsieur Brocas qui accusait le gouvernement d'excès de pouvoir car il avait pris deux décrets après la motion de censure. Le débat portait sur le statut du gouvernement : avait-il le droit de prendre ces décrets ? Était-il démissionnaire ou non ?

Dans son arrêt - qui n'est pas disponible sur internet mais qui a été consulté par franceinfo et dont Le Monde à l'époque s'était fait l'écho - le Conseil d'État écrit qu'il "résulte que l'adoption par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne le retrait du Premier ministre et de son gouvernement" et que "selon un principe traditionnel du droit public, le gouvernement démissionnaire garde compétence, jusqu'à ce que le président de la République ait pourvu par une décision officielle à son remplacement, pour procéder à l'expédition des affaires courantes".

Le Conseil d'État l'a répété quelques années plus tard, le 22 avril 1966, dans une autre décision qui portait à nouveau sur un décret pris par le gouvernement après le vote de la motion de censure. Décision résumée ainsi sur le site legifrance : "Le 9 octobre 1962, le gouvernement, dont la responsabilité avait été mis en cause le 5 octobre précédent par la voie d'une motion de censure, était démissionnaire [bien que la dissolution de l'Assemblée ait été prononcée le jour même] et disposait du pouvoir de procéder à l'expédition des affaires courantes."

Le refus d'un président ne change rien

"C’est un cas de figure spécifique, exceptionnel, explique le professeur en droit public de l'université Toulouse 1 Capitole, Mathieu Carpentier, à franceinfo. Le cas de figure standard, c’est que le gouvernement n’est considéré comme démissionnaire qu’à compter du jour où le président de la République accepte sa démission, c’est-à-dire prend le décret mettant fin aux fonctions du gouvernement. Le cas de l’adoption d’une motion de censure est un cas à part. Le gouvernement a l’obligation de démissionner. Le président de la République peut bien refuser la démission, ça ne change rien".

Or, le gouvernement Pompidou est resté en place 62 jours après l'adoption de la motion de censure et sa démission. Le record absolu de longévité d'un gouvernement démissionnaire est donc non pas de 9 ou de 38 jours, mais bien de 62. Soit 17 jours de plus que le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal, qui gère les affaires courantes depuis maintenant 45 jours en ce jeudi 29 août.

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