Cet article date de plus de dix ans.

"Sept années de bonheur", d’Etgar Keret

Comme chaque jeudi, Christophe Ono-dit-Biot livre son coup de cœur littéraire. Cette semaine, le directeur adjoint de la rédaction du Point a choisi "Sept années de bonheur", d’Etgar Keret (aux éditions de l'Olivier).
Article rédigé par Christophe Ono-dit-biot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
  (© Editions de l'Olivier)

Il s’agit d’un jeune prodige, mordant et incisif. Il s’appelle Etgar Keret, il nous vient d’Israël où il est connu pour son humour radical et sa plume acide, qui avait commencé à faire parler de lui en France, et dans le monde entier avec un très court récit, La colo de Kneller , qui avait suscité la controverse.

Cette œuvre racontait l’histoire d’un jeune israélien, Hayyim, qui se donne la mort et qui se retrouve dans une ville qui ressemble à celle qu’il a quitté, et qui doit continuer à galérer, trouver un job, un appart, qui prend un boulot dans une pizzeria et qui a un copain qui lui présente un autre copain, l’ancien chanteur de Nirvana, suicidé aussi évidemment.

L’auteur disait de ce dernier qu’il est gonflant au possible, en ajoutant que quand on a pris la peine de se suicider, on n’a aucune envie, dans l’au delà, "d'écouter quelqu'un dont l'unique souci est de chanter à quel point il est malheureux ." Etgar Keret s’est montré très culotté, notamment pour la société israélienne qui y était largement épinglée, puisqu’on y rencontrait aussi des jeunes qui se sont donnés la mort pour échapper au service militaire et des jeunes arabes kamikazes auxquels le narrateur demandait s’ils avaient bien reçu les vierges promises en échange de leur sacrifice.

Des Guignols de l’Info au Festival de Cannes

Insolent, mordant et incisif, Keret est une star dans son pays, où il a travaillé pour l’équivalent de nos Guignols de l’Info . Il travaille également pour le cinéma. Sa femme, Shira Geffen, est une grande réalisatrice qui avait obtenu à Cannes la Caméra d’Or avec un film intitulé Les Méduses , dont il avait écrit l’histoire, et où l’on croisait une femme solitaire et maladroite, à Tel Aviv, dont le quotidien était bouleversé par l’apparition d’une petite fille venue de la mer.

Cette personnalité extrêmement intéressante publie aujourd’hui un recueil de nouvelles qui surgissent directement de son quotidien. Il s’agit d’une série de petites saynètes, qui nous raconte ce que c’est de vivre en Israël, aujourd’hui.  Etgar Keret se met même en scène, à un moment précis, lors de ces sept années de bonheur au cours desquelles il est devenu le père d’un petit garçon et quand son père était encore en vie. Période épatante, où il était à la fois un fils et un père.Précisément, le recueil commence par un tout petit récit qui prend place le jour où sa femme arrive à l’hôpital pour accoucher.

Un genre mordant et corrosif. Surtout quand un reporter le reconnaît, lui, l’écrivain célèbre, et lui demande de témoigner sur l’attentat qui vient d’avoir lieu, mais auquel évidemment il n’a pas assisté, puis change de conversation en lui demandant pourquoi il a choisi cet hôpital avant de lui redemander, sa femme va quand même accouché.

Israël, le meilleur des pays pour écrire

Situation hallucinante… mais assez drôle, dans le genre humour noir. Telle est la marque de fabrique de Keret, l’humour corrosif, qui titille là où ça fait mal, et qui a l’habitude de dire qu’on peut se demander si vivre en Israël est un bon pays où vivre, mais qu’en revanche c’est le meilleur des pays pour écrire, car il y a peu de pays au monde où autant d’intrigues, de tensions et de conflits sont concentrés sur une aussi petite superficie. Keret dit que quand on vit en Israël, il y a tellement de choses qui se passent qu’on a l’impression de vivre comme dans un scénario, et qu’on se demande parfois, comme dans The Truman Show , si on est dans un vrai pays ou dans le décor d’une téléréalité.

De ce décor proviennent toutes ces nouvelles, qui nous font réfléchir à la vie qu’on mène dans d’autres endroits du globe, et donc à la nôtre. Des nouvelles très courtes aussi, souvent trois pages, qui peuvent se picorer avant de dormir, et qui sont tantôt très drôles, tantôt très émouvantes, où il raconte les circonstances très précises qui l’ont fait devenir écrivain, et ce qui est arrivé au manuscrit qu’il avait fait lire à son frère, les choses étranges qui lui sont arrivées quand pour faire plaisir à son petit garçon qui le lui demandait, ou encore le jeu qu’il a trouvé pour que son fils, en cas d’alerte aérienne, se couche à terre pour se protéger. Avec, toujours, une lucidité proche de l’absurde, comme si une roquette peut nous tomber dessus à tout moment, à quoi bon faire la vaisselle ?

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.