Ma vie face au cancer (11/16) : la soupe à la grimace

Depuis la sortie du podcast, l'horizon s'éclaircit pour Clémentine. Sur le front de la maladie, la thérapie ciblée lui a redonné "quasiment toute sa vie". Elle passe le début de l'été comme "portée par l'élan". Sauf que si la thérapie ciblée est efficace contre le cancer, elle a des effets secondaires délétères. Subitement, c'est le retour à la case hospitalisation. Et à la chimio.
Article rédigé par Clémentine Vergnaud, Samuel Aslanoff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
Ma vie face au cancer, épisode 11 : la soupe à la grimace. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Clémentine Lecalot-Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023 après s'être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt. Elle avait 31 ans. Le 1er juin, le podcast auquel elle tenait tant était sorti. Dix premiers épisodes où elle racontait son combat face à la maladie, ses espoirs et ses doutes. Pour, disait-elle, "laisser une trace". Quelques semaines avant sa mort, depuis sa chambre d'hôpital, Clémentine a souhaité reprendre le fil de son témoignage. Voici le premier des six derniers chapitres de "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine".

La veille du lancement du podcast, j'ai eu un énorme flip. Je me suis dit : mais qui va écouter un épisode sur le cancer ? Jamais les gens ne vont faire ça, ça ne va pas les intéresser ! Ils vont trouver ça trop larmoyant, ils vont se dire que je fais du beurre sur ma maladie. J'avais vraiment très, très peur. Et la déferlante, sur les réseaux sociaux notamment, ça m'a scotché ! Littéralement, je n'en revenais pas. Les gens étaient hyper positifs : des malades qui étaient contents qu'on brise un peu le tabou, des proches de malades qui étaient contents de savoir un petit peu ce qui pouvait se passer dans la tête de leurs proches — parce que ce n'est pas toujours facile. Et cette universalité, ça m'a fait énormément de bien. Le fait que la presse aussi s'intéresse beaucoup au podcast, ça m'a énormément touchée.

Ce qui revenait beaucoup, c'est que c'était utile, finalement, tout ça. Et c'était ce que je cherchais. Il y a eu des centaines de messages, des centaines de milliers d'auditeurs. Des gens qui m'ont proposé des trucs dingues : "Je vous envoie un livre"... "Est-ce que vous voulez que je vous envoie des chocolats"... Il y a un couple à côté d'Hyères, dans le Var, qui nous a quand même prêté une partie de leur maison que d'habitude, ils mettent en location ! Et ça, c'est juste inouï d'avoir tout cet élan de solidarité.

Ça me porte tout le mois de juin, ça continue aussi un peu début juillet, je reçois encore un peu d'autres propositions... Là, je commence à mettre le holà en disant que j'ai besoin des vacances de l'été pour moi. Et puis mi-juillet, ça commence à devenir un peu plus compliqué, mais c'est très insidieux. J'ai des problèmes digestifs ; j'appelle l'hôpital, il y a plein de médecins en vacances et je sens bien que dans le contexte des effectifs réduits, les histoires de digestif, ce n'est pas ce qui les passionne le plus non plus... Ils font le tri, quoi. Et donc je reste jusqu'à début août avec ces problèmes-là. Et début août, on a un mariage. On s'y rend. J'essaie de donner le change tant que je peux, mais on repart à minuit parce que je ne suis pas très bien. Puis le dimanche se passe. Et alors là, le lundi, horrible douleur dans le ventre, ce n'est plus possible... Donc c'est reparti pour l'hôpital. Là, ils commencent à me dire qu'ils ne savent pas trop ce que c'est. Et puis à un moment, ils demandent l'avis de l'hôpital voisin avec lequel ils travaillent, qui dit : on veut refaire une coloscopie, on a besoin d'y voir. Et là me tombe le truc que je n'avais pas du tout imaginé, mais qui était bien écrit sur les feuilles patients qu'on nous donne, au début : en fait, je fais une colite, une inflammation du côlon, à cause de ma thérapie ciblée. Et alors là, quand on vous dit : ben en fait, vous n'allez pas pouvoir la continuer... Dégringolade. La soupe à la grimace.

"18 septembre : le jour où je devais revenir travailler"

Ça, ça intervient fin août, début septembre, à peu près. Cette thérapie ciblée m'avait redonné quasiment toute ma vie. Je pouvais ressortir plus facilement, je n'avais quasiment pas de symptômes... Tout allait bien. Et d'un coup, on me dit : on va vous retirer tout ce qui vous a apporté de la vie, de la force, un retour vers soi... Tout ça, il va falloir l'enlever. Ça, c'est un coup de massue. J'ai très mal vécu le deuil de cette thérapie ciblée qui était pour moi salvatrice.

On me dit assez rapidement qu'il faut arrêter cette thérapie ciblée, que l'immunothérapie, on a bien vu que chez moi, ça ne marchait pas vraiment... Donc qu'est ce qui reste ? La chimio. Et alors là...

Je m'enferme sur moi-même pendant à peu près quinze jours, au point que je n'arrive même plus à répondre à ma famille. Il n'y a qu'à mon compagnon que je veux bien parler, parce que c'est le seul à qui je peux dire toute cette souffrance. C'est vraiment (sanglot)... Ça reste un souvenir extrêmement douloureux. Surtout lorsqu'ils ont programmé la première séance de cette nouvelle chimio le 18 septembre. C'était le jour où je devais revenir travailler. Quand vous entrez à l'hôpital et que vous vous dites : là, en fait, je devrais entrer dans la Maison de la radio... C'est affreux, vraiment, c'est affreux.   

On démarre donc cette nouvelle chimio. Vendredi, tout va bien. Samedi, ça va plutôt bien, je ne suis pas aussi fatiguée que ce que j'aurais imaginé. Et puis le dimanche, c'est bizarre. Au réveil, j'ai des sueurs froides, des sueurs glacées. Mon compagnon me rejoint en fin de journée, je lui dis que ça ne va pas, que je suis fatiguée, que je ne me sens pas très bien. Le repas arrive, il me dit : "Je vais t'aider à manger". On redresse le lit et là, je sens mon cœur qui part à toute vitesse. C'est un énorme galop dans la poitrine, ça cogne, ça fait presque mal. J'ai l'impression d'avoir quelqu'un assis sur la poitrine. Vraiment, je ne suis pas bien, ça ne va pas du tout. Donc je sonne, on me prend les constantes, on me dit : "Ah ben, votre pouls, il est à 110". Ben oui, mais moi, d'habitude, il a 65-70, donc ça ne va pas. "Ah oui, mais tout à l'heure il était à 100". Ben oui, donc, deuxième raison pour dire que ça ne va pas, quoi !

"Vous m'appelez le Samu tout de suite !"

Ils finissent par faire venir le médecin... Plutôt l'impression qu'il est comme une poule devant un couteau... Il finit par me faire un électrocardiogramme qui doit, a priori, déjà montrer des choses. Il attend un peu, il en refait un deuxième, visiblement, ça montre toujours des choses. Il me dit : "Avec ce que vous avez pris comme chimio, parfois il y a des spasmes coronariens". J'imagine des contractions des coronaires. "Ça peut arriver, c'est transitoire." Et ce mot transitoire, il ne va pas le lâcher de la nuit, alors que moi, je ne vais faire qu'empirer, empirer, empirer dans la nuit... Le lendemain matin, on me dit assez vite, vers 8h30-9 heures : "On vous descend au box de cardiologie". C'est un petit box où il y a une cardiologue qui fait des examens de routine. Elle commence l'échographie du cœur et à un moment, elle s'arrête et elle dit : "Mais pourquoi cette dame n'est pas en soins intensifs depuis hier soir ? Vous m'appelez le Samu tout de suite !" D'un côté, je suis soulagée : enfin, on m'écoute. Mais de l'autre, le Samu, tout ça... Ce n'est pas bien rassurant.

On remonte, il y a le chef de service qui m'attend avec la psychologue, avec l'interne, avec l'infirmière. Et ils commencent à essayer de me rassurer, parce que moi, je ne suis pas bien, je suis en larmes. Mais qu'est ce qui se passe ? "Ne vous inquiétez pas trop, vous faites une réaction cardiaque à la chimio. A priori, ça ne devrait pas être trop méchant. À ce que je vois, c'est peut-être un takotsubo*." Elle lance ça comme ça, moi, je connais le mot de loin parce que j'ai une amie qui en a vécu un. Mais bon... Il ne parie pas là-dessus non plus. Donc je le retiens, mais sans plus. Sur ce fait, très vite, arrive le Samu. Et sirènes hurlantes jusqu'à Henri-Mondor. Là, je sens que c'est pas bon.

(*) Takotsubo : le syndrome de takotsubo, ou syndrome du cœur brisé, est une cardiomyopathie qui se déclenche souvent après un stress émotionnel ou une douleur intense. Les symptômes sont généralement les mêmes que ceux d'un infarctus.

A suivre : le cœur en chamade.


Production : Clémentine Lecalot-Vergnaud et Samuel Aslanoff. Réalisation : Laure-Hélène Planchet. Prise de son : Samuel Aslanoff. Mixage : Raphaël Rasson. Visuels : Stéphanie Berlu, Kelsey Suleau. Coordination : Pauline Pennanec’h

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