L’Europe : une belle endormie ?

Focus géopolitique aujourd'hui, sur le continent européen avec l'académicien et historien, Georges-Henri Soutou.
Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
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Publié
Temps de lecture : 5min
"À partir de 1989, la chute du mur de Berlin, puis la fin de l’URSS et du communisme suscitèrent un grand optimisme en Occident. Aujourd’hui, à l’heure de la guerre en Ukraine, on en est loin", un ouvrage de Georges-Henri Soutou vient de paraître chez Tallandier. (FHM / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Historien contemporanéiste, membre de l'Institut de France, Georges-Henri Soutou fin octobre 2024 chez Tallandier : La grande rupture, 1989-2024, de la chute du Mur à la guerre d'Ukraine.  

franceinfo : Georges-Henri Soutou, vous décrivez dans votre ouvrage, entre toutes les parties, ce qu'on appelle l'incompréhension ou le manque de curiosité envers l'autre…  

Georges-Henri Soutou : En particulier du côté occidental. Et peut-être que le manque de curiosité est encore plus frappant que le manque de compréhension. Je commencerai par le manque de curiosité réelle. Ce qui m'a le plus frappé en préparant ce livre.  

C'est-à-dire entre l'Occident et la Russie ?

Le manque de curiosité politique actuelle de la Russie, surplombée par trop de souvenirs historiques qui sont ce qu'ils sont, qui sont parfaitement importants à avoir en tête, qui expliquent beaucoup de choses, mais qui empêchent d'analyser les évolutions actuelles.  

Les guerres de Yougoslavie commencées en 90 sont-elles un pivot dans notre actualité aujourd'hui ?

Elles sont un pivot pour deux raisons. D'abord parce que dans l'enchaînement des crises, c'est tout à fait évident et ce n'est pas par hasard si Monsieur Poutine devient président du Conseil, deux mois après la signature de l'accord d'armistice, qui met fin à la guerre du Kosovo, c'est évidemment une réaction de Moscou. On passe à une autre équipe, c'est tout à fait clair.

Et d'autre part, et plus profondément, la crise yougoslave, de façon parallèle, évoque là aussi deux choses qui marquent aussi à la fois la chute d'un régime communiste avec toutes les conséquences et d'autre part, l'explosion, le problème de nationalité jamais vraiment résolu depuis la Première Guerre mondiale.  

Ce qui veut dire, une année avant c'est la chute du mur de Berlin, par rapport à tout ce que nous avons vécu dans ces 40 dernières années, n'y a-t-il pas quelque part la réalité qui fait que l'Europe a cru que son modèle plairait à tout le monde ?

Tant et plus, c’est compliqué, qu'il y a en fait deux modèles. Il y a le modèle européen, européen si j'ose dire, et le modèle libéral plutôt anglo-saxon. L'un des problèmes d'ailleurs des Russes au début des années 90, c'est qu'ils avaient en fait deux modèles occidentaux en face d'eux. Et on pourrait presque dire que les Russes se retrouvaient assis entre les deux chaises occidentales qui existaient, sans vraiment choisir entre les deux.  

Il ne faut pas dire qu'on n'a rien fait avec les Russes. Ils ont été admis au Fonds monétaire international, ils ont quand même reçu 40 milliards de crédits du Fonds monétaire international, ils ont été acceptés dans le cadre du G7, mais on n'est pas allé jusqu'au bout. On n'a pas pris suffisamment au sérieux les problèmes, la reconstruction d'une économie d’un pays pareil et on a en particulier élargi l'Alliance atlantique à partir de 1994.  

Ce n'était pas prévu au départ. On l'a fait par étapes, ce qui a suscité à Moscou des réactions. Certains responsables américains avaient dit : "attention, ce n'est pas une bonne idée". Et d'autre part, on n'a pas suffisamment fait attention lorsqu'on prodiguait des conseils économiques.  

On ne les a pas suffisamment conseillé de gérer toutes ces transformations économiques, et nous n'avons pas suffisamment été attentifs au fait que les privatisations en Russie ont été une farce, au profit des oligarques qui ont pris le contrôle de l'économie, grâce à des privatisations menées en dépit du bon sens.  

Et pour nous aujourd'hui, la situation avec des hommes forts, Donald Trump, Vladimir Poutine, Xi Jinping, Recep Tayyip Erdogan, pour ne parler que d'eux… Quel est votre point de vue ?...  

L'Europe, pour le moment, c’est un appendice de l'OTAN et de la politique américaine dans ses évolutions complexes et imprévisibles. Il n'y a pas d'Europe sur le plan de la stratégie, de la sécurité, ce n'est pas nouveau.  

Sur le plan économique, l'équilibre qu’avait atteint l'Europe entre importations d'un côté et de matières premières et exportations de produits finis l'autre, est remis en cause par les sanctions et la situation de guerre. 

Et le gouvernement allemand dont on ne sait ce qu'il va être au mois de mars, personne, personne ne peut le dire. Le pays qui va le moins mal sur le plan politique et mental en Europe en ce moment, c'est l’Italie. C'est le quatrième exportateur mondial, que d'ailleurs les Français feraient mieux d'étudier de beaucoup plus près qu'ils ne le font. Enfin, ça montre quand même le changement total de situation par rapport aux années 90.  

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