La Grande-Bretagne : un royaume désuni ?
Le 24 janvier dernier, le chef de l'armée britannique, Patrick Sanders, a averti les citoyens du Royaume-Uni qu'ils devaient se préparer à une guerre de l'ampleur des grands conflits du XXe siècle, et qu'ils pourraient eux-mêmes avoir besoin de se mobiliser. L'éclairage de Philip Turle, journaliste britannique, correspondant à Paris.
franceinfo : Que penser de cette annonce du chef de l'armée britannique ?
Philip Turle : En Grande-Bretagne, il y a un sentiment que l'armée n'est pas au point, si jamais il y avait une guerre qui était déclarée en Europe, évidemment tout le monde regarde ce qui se passe en Ukraine, en Russie, il y a beaucoup d'inquiétude. Qu'est-ce qui se passerait si jamais nous étions obligés d'y aller pour se battre contre la Russie ? Il y a pas mal d'articles dans la presse, notamment dans le Guardian, dans le Times qui posent la question.
Et si, par exemple, en 2034, la Grande-Bretagne était en guerre contre la Russie, que ferait-on ? Que se passerait-il pour les Britanniques ? Conclusion : l'armée n'est pas au point, pas assez de personnes, pas assez d'équipements. Donc c'est une mise en garde pour les Britanniques, même si on est un pays nucléaire, comme la France d''ailleurs, quand il s'agit d'aller à la bataille, tout ça, ça a été un peu négligé ces derniers temps, et il faut rebâtir une armée digne de ce nom.
Mais est-ce que les Britanniques ont vraiment envie de s'engager ?
Non, ils n'ont plus du tout envie. Et puis je pense qu'il y a beaucoup d'ignorance là-dessus. Le problème pour la Grande-Bretagne au quotidien, par exemple l'inflation qui a commencé à baisser quand même, mais les prix qui augmentent, quant à la guerre en Ukraine, les problèmes à l'international sont un peu mis en deuxième position dans l'esprit des Britanniques.
Et surtout, c'est une année électorale ?
Alors on est en année électorale, où Rishi Sunak, Premier ministre, aimerait bien avoir un cinquième mandat, pour le Parti conservateur au pouvoir depuis 2010. C'est mal parti, parce que dans les sondages, il est à peu près à 20 points derrière le Parti travailliste, pour la simple raison qu'il y a une fatigue du Parti conservateur, et une succession de cinq Premiers ministres depuis 2010, le dernier en date, Rishi Sunak, depuis l'automne 2022.
Mais on se souvient tous de la durée dans l'histoire du Royaume-Uni, de Liz Truss, Première ministre du 6 septembre au 25 octobre 2022. Donc les Britanniques commencent à être fatigués du Parti conservateur, et les conservateurs ont beaucoup de pain sur la planche pour pouvoir gagner ces élections, qui auront lieu probablement au mois d'octobre.
On ne va pas revenir sur le Brexit parce que la chose est entendue, c'est fait. Mais aujourd'hui, qu'en est-il de l'Union européenne ?
Alors le Parti travailliste, qui n'a pas voulu quitter l'Union européenne, ne peut pas annoncer s’ils sont élus cette année que la Grande-Bretagne va y retourner. Pour la simple raison que beaucoup de leurs électeurs ont déserté le Parti travailliste lors des élections de 2019, pour voter pour Boris Johnson. Boris Johnson, qui était pour le Brexit, qui promettait le meilleur des mondes si la Grande-Bretagne quittait l'Union européenne.
Donc ces électeurs-là ne reviendront pas, si on leur dit finalement aujourd'hui, nous retournerons dans l’Union européenne. Donc le Parti travailliste est un peu coincé, entre son envie de renouer des liens plus étroits avec l'Union européenne, mais en même temps de ne pas perdre ses électeurs. Donc l'enjeu n'est pas facile, mais ils sont en position de force avec, avec comme je l'ai dit, une avance dans les sondages de 20%.
Le climat est plutôt morose ?
Les gens sont inquiets. Je suis allé très souvent en Grande-Bretagne et j'ai trouvé le pays un petit peu changé, certainement, depuis le Brexit. Beaucoup d’inquiétude sur le service de santé qui a perdu en subventions 9 milliards de livres, ça fait à peu près 10 milliards d'euros depuis 2010, avec des coupes budgétaires partout, une austérité extrêmement sévère en Grande-Bretagne, introduite par David Cameron, le Premier ministre conservateur, élu en 2010. Et donc beaucoup d'inquiétude sur le fait que si je suis malade, où est-ce que je vais aller voir mon médecin ? Est-ce que je peux le voir ? Combien de semaines d'attente avant de le voir ?
Si je peux vous donner une illustration, on ne peut même pas voir son généraliste, au mieux, on peut l'avoir au téléphone, mais après quinze jours, trois semaines. Mais le voir en personne, c'est carrément impossible. Donc cette inquiétude que le service de santé est en train de dégringoler est vraiment ce qui est le plus important pour une grande partie des Britanniques. D'autant plus qu'on leur avait promis monts et merveilles avec le départ de l'Union européenne, cette économie de 350 millions de livres sterling par semaine, pour les services de santé, et tout ça, ça n'a jamais eu lieu.
Autre grande question d'inquiétude, c'est l'immigration, et cette immigration qu'on nous promettait aussi qui allait s'arrêter. Et finalement, il y en a autant, voire plus aujourd'hui qu’avant le Brexit, 745.000 personnes sont venues en Grande-Bretagne en 2022, alors qu'on était déjà en dehors de l'Union européenne. Donc, cette politique aujourd'hui d'envoyer les migrants au Rwanda ne tient pas debout non plus. De toute manière, il n’y aura pas de vols qui vont décoller pour le Rwanda, probablement pas avant les élections du mois d'octobre.
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