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L’Europe, ils la voulaient tous, mais pas de la même manière…

L'invité de "Micro européen", Georges-Henri Soutou, historien et membre de l’Institut, dévoile dans son ouvrage "Europa, Les puissances de l’Axe et l’Ordre nouveau en Europe", une autre facette de l’histoire européenne.  

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le drapeau européen flottant dans le vent. (Illustration) (SIMPLEIMAGES / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Focus aujourd'hui dans Micro européen sur la genèse de l’idée européenne. Si l’idée européenne fit son chemin du XIXe siècle au début du XXe avec Alexis de Tocqueville, Victor Hugo, Denis de Rougemont, Coudenhove-Kalergi, Louise Weiss et Paul Valéry, l’Europe était aussi dans les "cartons" du IIIe Reich et de l’Italie mussolinienne. C’est la raison pour laquelle Georges-Henri Soutou apporte, en forme de préface, une constatation de Raymond Aron :  

"L’idée d’Europe est à la mode. Moins de trois années après la fin de la guerre, le thème de l’Europe, qui a joué un tel rôle dans la propagande hitlérienne, reparaît dans la propagande des Nations unies. Je ne vois là d’ailleurs aucun scandale, même quand ce sont les mêmes hommes – ce qui peut arriver – qui traitaient il y a quelques années le thème, et qui le traitent à nouveau aujourd’hui. Après tout, c’est peut-être une manière de rendre hommage à une nécessité historique inéluctable." Raymond Aron, L’idée d’Europe, La Fédération, juin 1948.  

Une autre conception de l’Europe

Pour le IIIe Reich d’Hitler, l’Europe ne pouvait qu’être raciste, celle de l’homme nouveau, une Europe "aryenne", antisémite, anti-slave, antibolchévique et anti-ploutocratique, face au Royaume Uni et aux États-Unis. Il n’était point question d’internationalisation du concept d’Europe, plutôt de mondialisation de son système puisque, comme le rappelle Ernst Hanfstaengl dans ses mémoires, Hitler n’avait aucun sens des relations internationales, voire même en refusait le concept.

Pour Hitler, comme nous l’explique Georges-Henri Soutou, il était question pour lui d’une notion d’Europe qui passait irrémédiablement par la domination du Reich sur l’ensemble du continent. C’est la raison pour laquelle la géopolitique a été fortement utilisée à mauvais escient par le IIIe Reich.

La question italienne  

Pour l’Italie, il est question d’un Duce possédant moins de marge de manœuvre qu’un Führer. En effet, Mussolini devait aussi compter avec la monarchie et l’église. Ainsi, sa vision se voyait plus impériale. C’est la raison pour laquelle la vision européenne de Mussolini, divergeait de celle de son complice allemand.  

L’effet de la première guerre mondiale avait aussi beaucoup joué pour les puissances de l’axe. Si les démocraties mettaient en avant le "plus jamais ça" de 14-18, allant vers une conception européenne pacifiste, une Europe sans guerre, le terreau du premier conflit mondial pour les puissances de l’axe passait par une domination de l’Europe par leurs forces alliées, s’opposant directement aux conséquences européenne des traités de Versailles, entre autres.  

Georges-Henri Soutou cite dans son ouvrage l’historien italien, Enzo Collotti qui dans son livre, Italia Germania, paru en 1940, fait apparaître le message italien fasciste européen :  

"Après la victoire prochaine, l’Italie et l’Allemagne donneront à l’Europe un nouveau visage de justice sociale et politique pour lequel combattent depuis vingt ans leurs révolutions respectives." Ici, nous sommes bien loin des concepts de l’état de droit, des droits de l’homme et des minorités, qui sont aujourd’hui la base de l’Union européenne.

Dans cette conception de l’Europe, les puissances de l’axe puisaient dans les références athéniennes et romaines, alors que l’Allemagne nazie en Grèce a été d’une extrême cruauté envers le peuple grec.  

Et après 1945 ?

Si aux Jeux olympiques de 1936, Hitler y fit jouer l’Hymne à la joie de Beethoven, il était bien loin d’imaginer que cet hymne deviendrait celui de l’Union européenne aujourd’hui. George-Henri Soutou rappelle que lors de la dernière intervention radiophonique d’Hitler, ce dernier avait conclu par : "J’étais la dernière chance de l’Europe !", c’est-à-dire la sienne, mais pas la nôtre de nos jours.  

C’était sans compter d’un dernier ressort bien souvent oublié, comme le rappelle Georges-Henri Soutou, celui de la haute fonction publique et du monde économique, qui, dès 1944, pour l’Allemagne, quand les décideurs se retrouvèrent en secret à Strasbourg pour imaginer "la suite", le sort en était jeté du IIIe Reich, la défaite. Et donc la dépasser pour renouer avec les anciens partenaires économiques du continent.  

Quant à la haute fonction publique allemande, si elle ne fut pas vraiment "dénazifiée", elle fut aussi un élément structurant dans les nouveaux plans qui apparurent dès la fin du second conflit mondial.

Après le discours de Zurich en 1945 de Churchill, le Congrès de La Haye en 1948, jusqu’à la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) de 1950 puis le projet de CED rejeté (Communauté Européenne de Défense), il fallait reconstruire une Europe dévastée, ainsi, "on" avait vraiment besoin de tous ceux qui pouvaient aider au rétablissement d’un équilibre pour l’Europe, menant vers une Europe démocratique, quand celle-ci se voyait divisée par Staline.  

"On oubliait" ainsi le passé de certains, ce qui ne fut pas du goût de hauts-fonctionnaires français, élus français et des milieux de la résistance, reprochant à ce début d’Europe une certaine condescendance. Ainsi le livre de Georges-Henri Soutou nous permet de mieux appréhender l’histoire de l’idée, puis de la construction européenne, qui bien souvent évitait la période trouble des puissances de l’axe.

Reste à ne pas oublier l’ouvrage de Curzio Malaparte, Kaputt, le témoignage de cette Europe des puissances de l’axe, Europe qui n’en finira jamais de faire parler d’elle.  

Georges-Henri Soutou de l’Institut, EUROPA ! Les puissances de l’Axe et l’Ordre nouveau en Europe, éditions Tallandier.

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