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Micro européen. Berlin, d’un mur à l’autre…

Le 9 novembre 1989 tombait le mur de Berlin. Il y a tout juste 30 ans. Géraldine Schwartz, journaliste et réalisatrice, a réalisé un film sur "Les espoirs perdus de la réunification". Film diffusé demain, dimanche 10 novembre, sur France 5 à 22h35. Elle est l'invitée de José-Manuel Lamarque.  

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié
Temps de lecture : 13min
Capture du film de la réalisatrice Géraldine Schwarz, sur la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989. (GERALDINE SCHWARZ / FRANCE 5)

9 novembre 2019 : célébrations ou commémorations pour les 30 ans d’un événement qui aurait bouleversé l’Europe, mais qui, pourtant, n’a pas eu les effets que l’on espérait naguère.

Un état disparaissait, pas un pays, puisque le pays retrouvait son unité. Mais encore ? Encore pas grand- chose si ce n’était le fait que l’Ouest pensait avoir triomphé de l’Est, c’est-à-dire le "bloc de l‘Est", l’Union soviétique et ses pays satellites membres du pacte de Varsovie. Aujourd’hui le bilan est plutôt lourd, avec un goût amer. La phrase serait osée, mais après tout pourquoi pas, l’Europe de l’Ouest n’a pas tiré grand-chose de la chute du mur, puisqu’elle se comporte encore en tenant du savoir démocratique, quelque part, elle reste le "camp du bien".

La DDR, république démocratique allemande ou RDA

Cet état aurait pu naître sous la plume d’un romancier, d’ailleurs certains ou certaines l’ont imaginé mais leurs ouvrages sont peut-être oubliés. On aurait pu aussi l’appeler le pays schizophrénique, le pays neurasthénique. En fait la RDA était soit un conte pour effrayer les enfants, soit le modèle d’un système qui à tout moment pourrait renaître. Ses bons côtés ou que certains considéraient comme une réussite : l’emploi assuré, les cantines scolaires gratuites, les bibliothèques municipales gratuites, les spectacles, théâtre, opéra, cinéma à prix très bas (équivalent d’un euro ou deux), et des logements aux loyers plus qu’abordables, c’était la vitrine de la RDA.

De l’autre côté, c’était le système, le parti frère de Moscou, dont beaucoup de cadres avaient été formés dans la capitale russe, fils ou filles de communistes, allemands réfugiés durant la Seconde Guerre mondiale. Le parti était tout, le parti ne pouvait pas se tromper, puisqu’il avait créé le meilleur des mondes. Ainsi, fallait-il garder, préserver ce meilleur des mondes et combattre ces ennemis jaloux de ce système qui voulaient l’anéantir.

À l’image de la Tchéka, l’ancêtre du KGB, la Stasi, police d’état de la RDA, avait mis en place une toile d’araignée comme jamais un pays en avait connu. Qui plus est, les patrons de la Stasi n’hésitaient jamais à glorifier et lever leurs verres à la gloire de "Félix de Fer", Félix Dzerzhinsky, le premier dirigeant de la Tchéka. Ainsi, et c’est ce que les Allemands de la RDA ont découvert après la chute du mur, quand certains, certaines sont allés chercher leur "dossier" de la Stasi, tel celui d’un traducteur qui m’avait montré le sien, ainsi, ils découvraient que leur meilleur ami, leur épouse, leur maîtresse, leur collègue, enfin leurs proches, les espionnaient et ce, depuis des décennies comme le traducteur dont l’espion était son ami depuis le premier jour de l’université en 1950.

Avec ce maillage très précis, l’état tenait le pays

On y entrait fort peu, mais on n’en sortait pas, voilà. D’ailleurs, pourquoi vouloir en sortir, puisque le paradis des Chrétiens venait d’être réalisé. La jeunesse était encadrée par les organisations de jeunesse, comme les organisations ouvrières, il y avait des fermes d’état, on mettait haut l’image de l’ouvrier modèle, l’armée avait simplement changé les insignes de l’armée du IIIe Reich par ceux de la RDA, et la propagande était constante, comme sous le IIIe Reich, puisque la RDA est passée du IIIe Reich au système communiste, sans débat national.

Oui la culture était abordable, on pouvait facilement se cultiver, d’ailleurs c’était peut-être la seule évasion possible. La religion était tolérée, les églises protestantes n’étaient pas interdites, mais les pasteurs avaient bien du mal à se fournir au moins en papier pour les publications paroissiales. Enfin, les vacances étaient possibles dans le bloc de l’Est, la Hongrie comme la Bulgarie étaient très prisées l’été. Tout ceci à la condition de n’être pas inquiété par la Stasi, donc être un citoyen "modèle".

Capture du film de la réalisatrice Géraldine Schwarz, sur le mur de Berlin. (GERALDINE SCHWARZ / FRANCE 5)

Le meilleur des mondes  

Une autre facette du quotidien de la RDA qui a marqué les esprits, les radios de l’Ouest et la télévision de l’Ouest étaient accessibles. Si on se cachait pour écouter la radio - d’ailleurs comment se cacher quand son propre logis pouvait être écouté -pour la télévision c’était différent : il suffisait de couper le son, et nombreux furent les Allemands de la RDA à regarder la télévision de l’Ouest sans le son durant 40 ans. Imaginons la naissance de la publicité des années 60 de la télévision à l’Ouest, imaginez regarder l’évolution de la publicité en 40 ans, sans le son, seulement l’image…

Ainsi, quand le mur est tombé, nous avons vu ces Berlinois franchir la zone pour acheter des bananes, un rêve peut-être. En tout cas les Allemands de l’Est ne voulaient plus des produits d’état mais ceux de l’Ouest, ceux dont ils connaissaient l’existence, sans la possibilité de les acquérir. Fin de l’histoire.

L’autre chute du mur

Les Allemands de la RDA ont commencé à gronder dans les années 80, et l'un des lieux de résistance était devenu le temple protestant. D’autres s’étaient déjà révoltés en tentant de passer le mur, beaucoup y perdirent la vie, peu eurent la chance de passer à l’Ouest. Et puis certains passèrent le mur sans encombre, ils étaient les agents que la Stasi envoyaient comme espions, dont certains accédèrent à de hautes responsabilités, ce qui fit la perte du chancelier Willy Brandt.

Ces agents habitent toujours à l’Ouest aujourd’hui, peut-être en connaissons-nous les noms sans savoir qu’ils ont été des agents de la Stasi. Pour revenir à la colère sourde, oui, des Allemands de l’Est se sont révoltés contre le système et voulaient la disparition du mur, un tout petit nombre cependant souhaitaient garder le mur pour se "protéger" de l’Ouest, tout en ayant des institutions démocratiques.

Et puis le mur est tombé, par une déclaration à la télévision d’état, la libre circulation, voilà, les Berlinois passent le mur, parce que depuis le 7 novembre, le gouvernement venait de tomber. Derrière le rideau, il y avait tout d’abord la main de Mikhaïl Gorbatchev, qui desserrait le garrot pour tout le bloc de l’Est. Plus loin encore, c’était Youri Andropov, le patron du KGB, qui détenait un rapport à la fin des années 70, stipulant que le système était à bout de souffle, et puis il y avait aussi ce scientifique à Dresde, qui avait adressé un courrier au dirigeant est-allemand Erich Honecker, signalant aussi que le système allait s’écrouler.

Bien évidemment Honecker n’avait pas répondu au scientifique, mais ce dernier a reçu la visite d’un haut gradé de l’Armée rouge, très intéressé par la théorie d’un fidèle du régime. À cette époque, le chef de l’antenne de Dresde du KGB s’appelait Vladimir Poutine. Donc le mur ne tombait pas seulement par la pression du peuple, rendons hommage à celles et ceux qui combattirent le système, le mur tombait comme un château de cartes, parce que plus rien n’était possible et que les dirigeants du bloc de l’Est le savaient mieux que quiconque.

Des célébrations ad minima

Aujourd’hui, on se souvient de la chute du mur, surtout Angela Merkel, fille de pasteur à l’Est, membre des jeunesses communistes de RDA et scientifique de RDA. On se souvient, mais ce ne sera pas la fête, on ne criera pas victoire, ce sera une journée du symbole.

Il faut dire que les 9 novembre ne sont pas des dates fastes en Allemagne, 9 novembre 1918 : naissance de la République de Weimar. 9 novembre 1923 : tentative de putsch d’Hitler. 9 novembre 1938 : la "Nuit de Cristal". On ne criera pas victoire parce que l’Ouest l’a déjà fait en 1989 et 1990. Le rideau de fer était tombé, le bloc de l’Est aussi, c’était la victoire de l’Ouest. Alors hourra ! Oui mais…

Mais si les produits de l’Ouest ont envahi d’abord l’Allemagne de l’Est, puis les autres pays de l’Est, si les dirigeants à tous niveaux du système furent "écartés" pour un temps, si nous, l’Ouest, avions raison depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et si nous étions certains de notre bon droit d’apporter la "démocratie" aux autres, nous oublions que la démocratie n’était pas une valeur que l’on puisse envoyer par la poste. 

Le mur est tombé, mais un autre est né depuis dans les têtes 

Mais si la cécité de l’Ouest avait pu retrouver la vue et comprendre le choc psychologique, voire psychanalytique, des peuples derrière le mur, il y aurait peut- être moins de montée des partis populistes d’Europe centrale et de victoires de l’Afd en Allemagne aujourd’hui.

Peut-être les guerres de Yougoslavie n’auraient jamais eu lieu, alors que l’Europe de l’Ouest est restée très longtemps au balcon à regarder s’entretuer Serbes et Croates. Peut-être que l’Europe serait plus sereine aujourd’hui, alors que le malaise ambiant grandit de jour en jour, dans une Europe qui se cherche, un Brexit qui n’en finit pas, des pays que l’on montre du doigt parce qu’ils ne sont pas vraiment en accord avec Bruxelles, une crise financière de 2008 qui a secoué tout le monde et appauvrit, voire mis à genoux certains états comme la Grèce.

À ce propos, n’oublions pas qu’il avait été prévu dans les années 50 que l’Allemagne rembourserait sa dette de guerre à la Grèce, à la réunification allemande. Mais Helmut Kohl n’a pas remboursé. Alors si l’investissement de l’Allemagne de l’Ouest et de l’UE en Allemagne de l’Est alourdissait la facture, c’est vrai, le business s’est étendu de l’Ouest vers l’Est, c’est vrai aussi. Mais l’Ouest n’aurait jamais dû déconsidérer la Russie d’Eltsine, se croire en terrain conquis en Europe centrale, dans la Balkans, et bien sûr en Allemagne de l’Est.

Aujourd’hui on se souvient de la chute du mur, souvenons-nous de ceux que nous avons perdus quand Staline n’a pas retiré ses troupes à l’Est, que Tito a cerclé son pays - là aussi le meilleur des mondes - qu’Enver Hodja a fait de l’Albanie une prison. Souvenons du dernier rassemblement de la jeunesse européenne sur le rocher de la Lorelei en 1948 où Est et Ouest étaient ensemble pour une Europe de paix et de liberté, souvenons-nous que nous avons été séparés durant 50 ans et qu’il faudra plus de 50 ans pour réapprendre à vivre ensemble.

C’est la raison pour laquelle notre invité, Géraldine Schwartz, journaliste et réalisatrice, nous invite à voir son film demain, dimanche 10 novembre, "Les espoirs perdus de la réunification" sur France 5 à 22h35.


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