TikTok : de la cour de récréation à la cyberguerre

L'Europe, les Etats-Unis et l'Australie soupçonnent la très populaire application grand public, notamment auprès des jeunes, de faciliter des campagnes de désinformation. À son arrivée à la Maison Blanche en janvier 2025, il reviendra à Donald Trump de trancher l'avenir de TikTok sur le marché américain.
Article rédigé par Nicolas Arpagian
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le logo de TikTOK  en Californie à Culver City. Fin novembre 2024, l’Australie légiférait pour qu’à partir de décembre 2025 les moins de 16 ans ne disposent plus de comptes personnels sur les réseaux sociaux, dont TikTok ou X. Les amendes prévues vont jusqu'à 30 millions d'euros si les plateformes acceptent encore des comptes de jeunes utilisateurs. (PATRICK T. FALLON / AFP)

L’application chinoise TikTok bien connue des adolescents pour ses chorégraphies ludiques est plus que jamais au cœur de discussions géopolitiques. TikTok est l’application des records. Il aura fallu cinq ans pour qu’un milliard d’utilisateurs mensuels consultent ses vidéos. Ce qui aura nécessité 8,7 années pour Facebook ou 7,7 ans pour Instagram. En France, chaque jour quelque 9,5 millions de personnes ouvrent l’application, qui compte 14,9 millions d’utilisateurs actifs mensuels.

Néanmoins en février et mars 2023, la Commission européenne et l’Etat français annonçaient l’interdiction de télécharger l’application sur les smartphones professionnels des agents publics.

Fin novembre 2024, c’est l’Australie qui légiférait pour qu’à partir de décembre 2025 les moins de 16 ans ne disposent plus de comptes personnels sur les réseaux sociaux. Cela vaut pour toutes les plateformes, dont TikTok ou X. Les amendes prévues vont jusqu'à 30 millions d'euros si elles acceptent encore des comptes de jeunes utilisateurs. Même des comptes préexistants.

Un bannissement initié par les Etats-Unis

En février 2023, les fonctionnaires états-uniens avaient un délai de 30 jours pour retirer l’application de leur smartphone professionnel. Mais cette mise en cause de l’éditeur chinois va plus loin. Car les Etats-Unis souhaitent que l’entité qui gère l’application accessible sur leur territoire soit scindée capitalistiquement de son propriétaire actuel.

La procédure s’accélère puisque le 6 décembre 2024, une cour fédérale de Washington a rejeté l’appel interjeté par l’application, contre une loi imposant à sa maison mère chinoise, ByteDance, de le vendre sous peine d’interdiction aux Etats-Unis. Et désormais, les jours sont comptés puisque les magistrats ont validé que le Congrès était fondé à demander à partir du 19 janvier 2025, ce blocage d’une application utilisée par 170 millions d’Américains.

Une mise en cause aux USA au nom de la sécurité nationale

Les deux principaux reproches sont la collecte de données sensibles et la diffusion de propagande destinée à nuire au système politique des Etats-Unis. Les mises en cause sont donc au niveau géopolitique, tandis que les avocats de TikTok parlent de "censure fondée sur des informations inexactes, erronées et hypothétiques" et chiffrent à 1 milliard de dollars le manque à gagner que représenterait la fermeture durant un mois de l’application pour les PME états-uniennes qui l’utilisent pour commercialiser leurs produits.

L’arbitrage politique est dans les mains de Donald J. Trump qui sera investi le 20 janvier 2025. Le président réélu avait vigoureusement attaqué TikTok en 2020, allant jusqu’à proposer un montage financier entre le commerçant WallMart et le géant informatique Oracle pour reprendre la version US de l’application. Puis il s’était exprimé contre son bannissement.

L’avis d’Elon Musk, fervent partisan de la libre expression, et toujours critique du contrôle étatique, pèsera sûrement dans la décision finale. Mais ni Trump ni Musk ne se sont prononcés sur les derniers rebondissements de ce feuilleton politico-technologique.

Annulation de l'élection présidentielle en Roumanie

Le 5 décembre 2024, la justice roumaine a annulé les résultats du 1er tour de l’élection présidentielle qui a vu arriver en tête Calin Georgescu, un quasi-inconnu du grand public. Le Conseil suprême de la défense nationale de Roumanie a pointé des campagnes de publication, orchestrées par 25.000 comptes fantômes qui ont intensément valorisé ce candidat sur TikTok. Une coordination de nature, selon leurs analyses, à modifier les convictions des électeurs.

En application de son règlement sur les services numériques (DSA) la Commission européenne a imposé à TikTok de fournir les documents internes concernant les modèles algorithmiques de recommandation des messages diffusés sur ses canaux. En l’espèce, Bucarest et Bruxelles soupçonnent Moscou d’être à la manœuvre dans cet usage offensif de TikTok.

Des risques de désinformation politique en France via les réseaux sociaux ?

La fondation Descartes vient de publier une étude sur la "Pénétration en France des récits étrangers sur les conflits contemporains". En se focalisant sur nos perceptions des différents récits concernant quatre conflits ou tensions contemporains : la guerre Russie-Ukraine, le conflit Hamas-Israël, les "tensions entre la junte malienne et la France concernant les opérations Serval et Barkhane", et la crise Chine-Taïwan.

Elle démontre que si les campagnes de désinformation menées par les réseaux sociaux ont encore des impacts limités sur le débat public, les opérations existent bel et bien, et ne font que s’intensifier. L’éducation, l’esprit critique et le partage d’informations documentées font partie des moyens de protection, face à des fabriques d’images ou de vidéos fondées sur l’émotion.

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