Au Mexique, la difficile profession de reporter
2022 est déjà une année meurtrière record pour les journalistes en exercice au Mexique. Bien plus de reporters tués au Mexique que sur un terrain de guerre comme l’Ukraine par exemple. 68 journalistes ont été tués au Mexique depuis 2016, pour des motifs directement liés à leur métier.
Reporters sans Frontières évoque chaque année les meurtres de journalistes au Mexique dans ses rapports. Les assassinats ciblés ne sont jamais le fait du hasard. Ils visent les journalistes d’enquête. Et les coupables ne sont jamais arrêtés. Les commanditaires sont souvent en lien avec les narcotrafiquants, voire des autorités locales corrompues. Mais une mobilisation prend corps pour notamment lutter contre l’impunité.
Ce mercredi 2 novembre a été une date retenue pour dénoncer l’impunité des crimes commis contre les journalistes au Mexique. Reporters sans Frontières rappelle que 68 journalistes ont été tués au Mexique depuis 2016 pour des motifs directement liés à leur métier. L’année 2022, qui compte 14 victimes, est une année record, et avait très mal commencé avec l’assassinat de deux journalistes en six jours à Tijuana : Margarito Martinez et Lourdes Maldonado.
Tijuana : 2022, une année dans le sang
À la frontière entre les États-Unis et le Mexique, la ville de Tijuana a commencé l’année 2022 dans le sang. À six jours d'intervalle, deux journalistes, Margarito Martínez et Lourdes Maldonado, ont été assassinés. Deux meurtres qui illustrent les dangers auxquels les journalistes mexicains sont confrontés dans l'exercice de leur métier.
En 2019, la journaliste Lourdes Maldonado menacée par un élu local du parti au pouvoir, avait sollicité l’aide du président mexicain,. "Je crains pour ma vie, avait-elle ainsi déclaré. Il s’agit d’une personne influente en politique, il s’agit de votre candidat au poste de gouverneur de Basse-Californie, Jaime Bonilla." Deux ans plus tard, le 23 janvier 2022, Lourdes Maldonado était tuée par balles devant chez elle. Margarito Martínez se consacrait à la couverture des meurtres quotidiens dans les rues de Tijuana. Lui aussi a été tué par balles, devant chez lui. L’enquête en cours identifie le leader d’un groupe criminel local comme commanditaires.
Plus d’un tiers des journalistes tués dans le monde l’ont été au Mexique cette année. Plus de 500 journalistes bénéficient d’un système de protection mis en place par le ministère de l’Intérieur. Pour une partie d’entre eux, c’est parfois l’exfiltration du quartier, et souvent aussi une auto-censure. Le reporter se mure dans le silence et l’information s’en retrouve bâillonnée. Une information souvent sur des faits de corruption ou de connexion entre police, criminel et politique locale. Et au fond, le plus inquiétant, c’ est le climat d’impunité qui prévaut. Dans 9 cas sur 10, les coupables ne sont pas arrêtés.
Enquête sur l'affaire Florence Cassez... et intimidations
Emmanuelle Steels travaille pour Libération, Radio France, la RTBF, la RTS et Radio Canada, à Mexico. Dans ce contexte, elle n’a pas été épargnée par des intimidations, en raison d’une enquête, menée dès 2009, sur les dessous de l’affaire Florence Cassez, interpellée avec son compagnon qui allait devenir un ex, puisqu’elle entreprenait un déménagement, en décembre 2005.
Cette arrestation, pour une mise en accusation d’enlèvements avec séquestration et demande de rançon, avait été diffusée en direct avec la télévision, avec libération d’otages en direct. Il va s’avérer, au fil du temps, que cette interpellation ne fut qu’une mise en scène. Florence Cassez et Israel Vallarta ont été arrêtés la veille, enfermés, puis conduits dans des pièces du ranch de Villarta avant de découvrir, atterrés, le faux assaut de la maison, filmé par la télé.
Tous les détails de cette affaire Florence Cassez ressurgissent dans la série Netflix qui lui est consacrée, une série doc Désigné coupable, visible depuis la fin de l’été. Et Emmanuelle Steels intervient dans cette série, en raison de sa profonde connaissance de l’affaire qu’elle suit depuis 2009. Elle a même consacré un livre au sujet en 2015, traduit en France cette année, Ceci n’est pas un kidnapping, paru aux Editions Fauves.
Et pour la première fois depuis qu’elle est au Mexique, Emmanuelle est victime de messages d’intimidation. D’abord des insultes sur twitter, puis des "J'espère que tu vas te faire enlever" ou encore des films qui lui sont envoyés, où elle se voit marcher dans la rue, ce qui signifie qu’elle est suivie, et la vidéo représente une menace supplémentaire. Pour Emmanuelle, tout est lié avec l’impunité. Si les auteurs de cette orchestration judico-policière (affaire Florence Cassez) avaient été inquiétés, ils ne sentiraient pas autorisés aujourd’hui à menacer une journaliste qui veut faire la lumière sur cette affaire.
Combattre l’impunité
C'est tout l’enjeu des mobilisations contre l’assassinat de journalistes. Mobilisation des reporters à travers le monde, mais aussi au Mexique. Il faudrait aussi que la classe politique mexicaine s’empare du sujet, et cesse de discréditer la profession reporter. Qu’on en finisse avec des déclarations comme celles du président Mexicain il y a 3 ans : "Si vous suivez le comportement des médias, a déclaré Andrés Manuel López Obrador, le 31 octobre 2019, vous vous rendrez compte qu'ils n’agissent pas en tant que représentants des citoyens, mais en tant que représentants de certains intérêts !".
Il y a quand même un peu de lumière sur le front de la justice mexicaine. Les deux premiers meurtres de l’année ont vu les enquêtes avancer, et c’est assez rare pour que ce ne soit pas souligné."Il n’y aura pas d’impunité, ni dans le cas de Margarito, ni dans le cas de Lourdes, a affirmé Ricardo Iván Carpio, procureur général de Basse-Californie. Plusieurs auteurs [exécutants] ont été présentés devant la justice, et nous sommes sur la piste des commanditaires"
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