Cet article date de plus de douze ans.

En quoi Richard Descoings a-t-il changé le visage de l’enseignement supérieur ?

L’actualité de l’éducation aujourd’hui c’est le décès de Richard Descoings, l’emblématique directeur de Sciences Po Paris.
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
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D’où notre question du jour :
« En quoi Richard Descoings a-t-il changé le visage de l’enseignement
supérieur ? ».

Un visage qu’il aurait pu changer
encore plus…  La rumeur lui prédisait
encore récemment un destin ministériel…

Tout comme elle le lui avait prédit en 2007 –
à l’époque on disait même qu’il serait ministre quel que soit le vainqueur.

Officiellement il répondait pourtant qu’il n’était pas intéressé…

Oui, à plusieurs reprises. Avec deux
arguments :

-         
je n’ai pas de légitimité politique, regardez ce
qu’il est advenu à ceux qui n’en avaient pas – Claude Allègre et Luc Ferry
notamment, qui se sont brûlés les ailes à l’Education nationale.

-         
2d argument : je fais plus bouger les lignes à
partir de sciences Po

Etait-ce vrai ?

Qu’il ait fait bouger sciences Po, c’est
incontestable

Il hérite d’une institution prestigieuse mais
finalement provinciale à l’échelle du marché mondial de l’enseignement
supérieur. Il en ait un acteur majeur en France et dans le monde.

Vous avez toujours aujourd’hui à Sciences Po
des enseignants connus et reconnus. Mais vous avez également trois fois plus
d’étudiants qu’il y a 16 ans, dont 40% d’étrangers. En terme de rayonnement
c’est spectaculaire, a fortiori quand vous regardez le niveau de sélectivité de
Sciences Po Paris, qui n’a jamais été aussi fort.

Rayonnement et ouverture sociale…

Avec cette fameuse réforme des CEP.
Farouchement combattue par la droite à l’époque qui avait tenté sans succès
d’empêcher cette réforme à l’assemblée nationale et via un recours au conseil
d’Etat. On l’oublie mais la bataille politique et législative avait été
terrible. Il faut rappeler aussi que sans le soutien de Jack Lang, alors
ministre de l’Education nationale, rien ne se serait passé. Les socialistes
n’étaient pas très enthousiastes non plus – au parlement, le PS n’avait pas
sollicité ses ténors pour défendre la réforme Descoings. Pour qui se souvient
de ces épisodes, c’est peu dire que les hommages unanimes qui se multiplient depuis
ce matin ont une saveur quelque peu étonnante.

Pourquoi une telle opposition ?

Parce que cette mesure remettait en cause le
recrutement des élites, et c’est d’ailleurs le fil rouge de la politique menée
par Richard Descoings, avec l’internationalisation.

Toutes les grandes écoles, aujourd’hui,
conviennent qu’elles ont un problème d’ouverture sociale, mais elles font
toutes la même réponse : c’est la faute de l’enseignement primaire et
secondaire. Elles mettent donc en place des programmes comme « une grande
école pourquoi pas moi » afin de faire du tutorat pour les élèves issus de
milieux défavorisés. En somme des bonnes œuvres pour moraliser un peu les
processus de sélection.

Le raisonnement de RD était bien
différent : il estimait que la nature même des concours les rendait
inaccessibles à une catégorie de population et qu’il fallait donc chercher des
façons de détecter les hauts potentiels différemment.

D’où une de ses dernières mesures, très contestée : la
suppression de la mythique épreuve de « culture générale » au
concours d’entrée.

Oui. C’est exactement la même idée. Il disait
que la culture générale ne s’enseignait pas au lycée, et que les jeunes la
trouvaient soit dans leur famille soit en payant des prépas privées.

Tout cela faisait bouger les lignes. Mais à la
vérité il a été peu suivi, y compris par les autres IEP, les Sciences Po de
province, avec lesquelles  Sciences Po
paris entretient des rapports tendus.

Deux fils rouges dites-vous… Ouverture sociale on en en parlé. Il y
aussi l’internationalisation.

Pour ça que Sciences Po passe de trois à cinq
ans sous RD. Pour ça qu’elle grossit pour atteindre une masse critique. Pour ça
que RD n’aimait pas qu’on dise de Sciences Po qu’elle est une grande école, il
préférait parler d’université sélective. Vous savez le système français est
unique et totalement illisble vu de l’étranger : aux Usa ou en GB, les
établissements d’élite sont les universités car ce qui fait l’excellence c’est
la puissance de la recherche. En France, la recherche est partagée entre
organismes privés et universités, mais l’excellence est incarnée par les
grandes écoles pour leur capacité à trier les élèves.

RD voulait faire de Sciences Po un
établissement d’excellence au sens international, pas au sens franco-français.
Là aussi il a réussi pour Sciences Po. Mais le système dans son ensemble n’a
bougé qu’à la marge.

Il a aussi brisé quelques tabous sur l’argent…

Oui, le sien et celui des étudiants. Il
assumait de gagner 24000 euros nets par mois et toucher des primes parfois
importantes. Et il dénonçait la faiblesse du salaire des présidents
d’université en France. C’est un vrai débat.

L’argent des étudiants aussi avec une
explosion des frais de scolarité qui peuvent monter à 10.000 euros par an.
C’est compensé par un système de bourses très avantageux. Là aussi il a
déclenché le débat, fait bouger les lignes, mais pour l’instant l’idée d’une
augmentation des droits à l’université même en échange de bourses plus
importantes reste une idée tabou.

L’émotion des étudiants est immense à Sciences po Paris. Ce n’est pas
courant…

Oui. Peu de directeurs d’écoles ou de
présidents d’université entretiennent une relation aussi passionnée et
passionnelle avec leurs étudiants. Il y avait un magnétisme Richard Descoings
qui s’exerçait aussi dans son environnement professionnel. Ça fait partie de
l’impact qu’il a pu avoir à Sciences po et en dehors.

Et ça explique effectivement cette émotion
profonde ressentie à Sciences Po et au-delà.

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