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"Beaucoup de comportements ont changé, on est dans un processus qui va prendre du temps et ce travail d'évolution, on doit le faire tous ensemble", souligne Jean Viard

"Question de société" revient aujourd'hui sur cette tribune qui a fait grand bruit, publiée dans "Télérama" cette semaine, un texte où la comédienne Adèle Haenel explique qu'elle a arrêté le cinéma, notamment parce que ce milieu laisserait trop souvent passer des comportements sexistes inacceptables. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
L'acteur Aurélie Wiik a dénoncé des agressions sexuelles dont il a été victime de ses 11 ans à ses 15 ans, photo d'illustration. (NORA CAROL PHOTOGRAPHY / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

La comédienne Adèle Haenel, César de la meilleure actrice en 2015 pour Les Combattants, explique cette semaine dans une lettre publiée sur le site de Télérama (article payant), les raisons de sa mise en retrait du cinéma français, notamment pour dénoncer "la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels, et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est". Cela pose plus largement la question de l'impact réel du mouvement #MeToo, cinq ans après, dans l'ensemble de la société française. Médiatiquement, c'est vrai que le retentissement a été spectaculaire.

franceinfo : Dans les faits Jean Viard, est-ce que les choses ont changé ? Ou est-ce que, comme le dit Adèle Haenel, concernant son milieu professionnel, ce ne sont que des changements de surface ? 

Jean Viard : Alors, Adèle Haenel est extrêmement radicale, et en plus, je ne suis pas une femme, donc je ne suis pas forcément tout à fait la même perception. Mais je crois qu'il s'est passé quelque chose, dans le rapport entre les hommes et les femmes dans nos sociétés, tout au long du siècle précédent, et que #MeToo a accéléré ce processus, avec des excès aussi, comme toute révolution. Mais ce ne sont pas les excès qui font juger les révolutions, c'est ce qui se passe après. Et donc je pense qu'effectivement le rapport entre les hommes et les femmes change profondément, mais ce rapport, en même temps, il est construit sur une culture – c'est très difficile de changer la culture – et puis il est construit sur notre mémoire, des comportements acquis, etc. Ce qui me frappe aussi, c'est l'écart entre les générations.

Je dirais qu'il y a ceux qui savent ce qu'il ne faut plus dire, et ceux qui spontanément, n'ont plus envie de le dire, par exemple sur un certain nombre de blagues. C'est-à-dire que la mémoire des générations n'est pas la même, donc on est dans un processus qui va prendre du temps, où on voit très bien que la position des femmes, que ce soit sur le marché du travail, sur leur autonomie, sur plein de sujets, et évidemment sur leur autonomie dans le fait de faire ou pas des enfants, tout ça, ce sont des éléments qui se sont construits, qui ont été accélérés récemment.

Après que certains trouvent que ça ne va pas assez vite, qu'il y ait des tas de lieux de tensions, énormément de machisme à plein d'endroits, j'en suis tout à fait convaincu. Mais je crois que dans cette société, il ne faut jamais dire : on n'a rien fait. Il faut dire : on change, on accélère, je pense qu'on a quand même fait beaucoup, il y a beaucoup de comportements qui ont évolué, beaucoup d'hommes qui "se tiennent" un peu mieux, si je peux me permettre de parler comme ça, ou qui, en tout cas, savent un peu, comment les femmes attendent qu'on se tienne. Mais après, les femmes ne sont pas non plus un groupe totalement homogène. Il y a des comportements différents, mais il faut se dire : c'est un chemin qui a été ouvert et qui avance. 

On peut avoir l'impression tout de même qu'il y a deux dynamiques un peu antagonistes avec d'un côté, la parole publique, qui est différente d'il y a quelques années, avec un ministère de l'Égalité entre les femmes et les hommes, qui n'existait pas précédemment, mais les écarts de salaires sont encore gigantesques. Le nombre de féminicides, on le voit chaque année, ne diminue pas. Il y a encore du boulot...

Alors, ce n'est pas tout à fait le même sujet, mais effectivement, les féminicides, c'est extrêmement préoccupant, en même temps, c'est en partie lié à la grande pandémie. Il y a 1 million de couples qui n'ont pas supporté de se retrouver enfermés dans une pandémie, et donc là, il y a une explosion des violences dans ces couples, à la suite d'une situation exceptionnelle. Mais ce qui est vrai, c'est que quand on voit ce que fait l'Espagne qui, dans nos caricatures à nous, est plutôt un pays un peu machiste, le pays arrive à faire un travail énorme vis-à-vis des féminicides, vis-à-vis de l'attitude masculine, donc ça veut dire qu'à un moment, il y a des formes de volonté politique d'une société, qui permettent de changer encore plus radicalement que l'a fait la France.

L'Espagne est un bon exemple pour montrer qu'on peut certainement aller plus vite. On peut trouver des façons, il faut aussi parler davantage aux hommes violents, il y a toute une réflexion au fond sur cette espèce de sentiment de propriété, qu'ont certains hommes du corps de leurs femmes, ce qui est quand même assez inimaginable, mais qui historiquement peut se comprendre. Maintenant, il est clair que la sphère intime a pris une place importante, et c'est quelque part une bonne nouvelle, car on le voit bien avec le mariage pour tous, on est dans une évolution très sensible, au niveau de la liberté dans la sphère intime, c'est très positif.

C'est très difficile de changer de structures culturelles. C'est plus facile de redessiner les voitures ou de faire des tours en bois, on peut changer de pratique relativement vite. La culture, c'est un énorme travail de la faire évoluer, et ce travail, on doit le faire tous ensemble. Ce n'est pas une question uniquement de travail des femmes, c'est aussi beaucoup une question du travail des hommes et des pères. 

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