Cyclone Chido à Mayotte : " La France n'a plus aucune réflexion sur le développement de ces territoires"

Une semaine jour pour jour après le passage du cyclone Chido sur Mayotte, l'aide arrive encore au compte-goutte. Dans l'archipel, la population manque d'eau, de nourriture, d'électricité et d'un toit. Comment reconstruire Mayotte sur un territoire où un tiers des habitants vivent dans des bidonvilles ?
Article rédigé par franceinfo - Mathilde Romagnan
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
20 décembre 2024. Sur les hauteurs du quartier de la Convalescence, des femmes transportent de l'eau. Le quartier, situé dans les hauteurs de Mamoudzou marque le début du bidonville de Kaweni, le plus grand bidonville d'Europe. L'ile est dévastée depuis le passage du cyclone Chido, il y a une semaine. La population, déjà démunie avant le passage du cyclone, se plaint du manque de secours. (MICHAEL BUNEL / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Le cyclone Chido a dévasté l'archipel de Mayotte, il y a tout juste une semaine. L'aide attendue par les habitants arrive au compte-goutte. Eau, nourriture, électricité, et abris, tout manque sur l'île. La plupart des bâtiments ont été détruits par le cyclone car à Mayotte, il y a énormément d'habitations précaires, fragiles, faites uniquement de tôles. Selon l'INSEE, un tiers des habitants de Mayotte vit dans un bidonville. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.

franceinfo : Dans ce contexte de dévastation et d'habitats précaires rasés par le cyclone, comment reconstruire Mayotte, par où commencer ?

Jean Viard : On commence par ce qu'on essaie de faire, c’est-à-dire l'urgence, amener de La Réunion qui n'est pas très loin – il y a un peu plus de 1000 kilomètres – de la nourriture, de l'eau, etc. Il y a une urgence et on a déjà vécu ça en 2017, avec le cyclone sur Saint-Martin. Donc les services de l'État savent gérer ce genre de crise. Là, il y a trois fois plus d'habitants qu'à Saint-Martin, mais ils ont déjà su gérer ça. La deuxième chose, évidemment, c'est la compassion, le respect, la journée de deuil national pour un territoire français détruit de cette manière-là, ça me semble effectivement une bonne idée.

Mais après, je fais trois remarques. La première, c'est que si on veut que tout le monde se mette au travail, il faut donner des papiers à tout le monde, parce qu'on estime qu'il y a à peu près 100.000 sans-papiers. On a besoin de tous les bras, et il y a besoin que les gens ne se cachent pas, de peur effectivement d'être expulsés. Il faut mobiliser les survivants.

La deuxième chose, c'est de penser local. Il faut dire aux architectes locaux de piloter la reconstruction, ce ne sont pas des gens de loin, des Parisiens, des grands fonctionnaires. Il y a des architectes là-bas et ils connaissent les matériaux, le vent, les terrains, etc., qui connaissent, parce que l'un des gros problèmes, c'est qu'on a construit dans des terrains pourris, sur des pentes, et des lieux qui sont beaucoup plus dangereux.

Et puis la troisième remarque que je ferai, je trouve désolant que des grands politiques français, l'un dit : "c'est un problème lié à l'immigration", l'autre dit : "il faut faire payer les riches". Est-ce qu'il n'y a pas un peu de pudeur pour qu'effectivement les débats parisiano-centrés, qui n'intéressent déjà plus beaucoup les Français, ne soient pas relancés dans une période aussi tragique ?

1 habitant sur 3 vit dans un habitat précaire à Mayotte, 4 habitations sur 10 sont en tôle, 3 sur 10 n'ont pas d'eau courante. Ce sont les chiffres de l'INSEE. Comment en est-on arrivé là sur un territoire français ?

Je pense que la France n'a plus aucune réflexion sur comment donner des projets de développement à ces territoires, chaque fois différemment. Ce sont les locaux qui doivent porter ce projet. Ils sont les seuls qui peuvent s'adapter à ce territoire. Après, à Mayotte, il y a les problèmes des Comoriens qui viennent justement parce qu'on est moins pauvre, si on peut dire, à Mayotte qu'aux Comores.

Il faudra se mettre à penser ces territoires parce qu'on les pense en disant : la France est la deuxième puissance maritime mondiale. La France maîtrise le canal du Mozambique grâce à Mayotte. Tout ça, c'est de la géostratégie. La question c'est quand est-ce qu'on va vraiment se dire : qu'est-ce qu'on donne comme avenir à ces territoires ? Je pense qu'il y a un vrai déficit de la pensée, j'allais dire de l'État, globalement sur ces territoires.

Les habitants de Mayotte se sentent délaissés par la métropole en cette période de crise. Le président de la République, il s'est rendu sur place cette semaine, il a décrété, une journée de deuil national, ce lundi 23 décembre. Ça reste une reconnaissance de la gravité de l'événement de la part de Paris ? 

C'est clair que les gens sont désespérés, malheureux, assoiffés. Ils ont tous perdu des proches, ils ne savent pas qui est mort, qui n'est pas mort. Il y a un désarroi terrible et que le président de la République se fasse engueuler par les gens, c'est évident, c'est logique. Il y a un désespoir épouvantable. Après, il faut y aller, c'est le rôle des élus : affronter effectivement cette souffrance, proposer un certain nombre de choses et se dire comment, petit à petit, on va recréer de la confiance.

C'est pour ça que j'ai commencé en disant la première confiance, c'est de donner des papiers à tout le monde pour que ça ne soit plus l'enjeu, et que tout le monde se mette au combat pour construire et pour reconstruire. D'abord on répare, on finance, ça va coûter des milliards, on aide les gens à vivre, et après, on se met à penser ces territoires, et à leur donner la main de leur destin.

Mais ça n'enlèvera pas une chose. On est entré dans l'ère des catastrophes climatiques, ça va se reproduire là ou ailleurs. C'est pour ça qu'il faut produire moins de CO2, et c'est pour ça qu'il faut se protéger sur tous les territoires du monde. Mais pour ce qui nous concerne en premier lieu, évidemment, sur les territoires français.

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