De nombreux Français touchés par la précarité hygiénique : "La première exclusion, c'est de ne pas avoir de logement, la deuxième, c'est le soin du corps", souligne Jean Viard

Des milliers de Français n'ont plus les moyens d'acheter des produits d'hygiène. Ils le vivent comme une atteinte à l'estime de soi. Une question de société décryptée par le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Un Français sur deux déclare désormais réduire sa consommation de produits d'hygiène à cause du manque d'argent. (CATHERINE FALLS COMMERCIAL / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

On est en plein week-end de collectes alimentaires par les Restos du cœur. Il y a eu aussi cette semaine dans l'actualité, les dons non alimentaires. C'est l'association "Dons solidaires" qui s'en occupe, elle a récolté notamment des produits d'hygiène, et publié un sondage qui révèle qu’un Français sur deux déclare désormais réduire sa consommation de produits d'hygiène à cause du manque d'argent.

On peut rentrer un peu plus dans le détail. 16% des femmes disent avoir déjà manqué de protections périodiques, par exemple. Et puis sur l'aspect hygiène et apparence, 40% disent se restreindre sur le maquillage. Près d'une personne sur cinq se limite dans ses achats de rasoirs désormais, 16% sur le déodorant, dans un arbitrage, souvent, avec la nourriture.

franceinfo : Cette association, Dons solidaires, Jean Viard, estime que la situation est alarmante...

Jean Viard : Il y a deux choses sur les sondages. Ça nous donne une indication, mais c'est intéressant. C'est souvent un peu augmenté en France où les gens se plaignent beaucoup. Après, la pauvreté en France a légèrement augmenté, c'est incontestable. Les prix alimentaires ont beaucoup augmenté, beaucoup plus vite que les autres, puisqu'on est quasiment à 20%. Donc, dans les milieux modestes, on a dû faire des choix, c'est absolument incontestable. 

Au siècle précédent, on parlait des "Sans famille", nous, on parle des sans domicile fixe, car la grande question de notre société, c'est ceux qui n'ont pas de maison, alors qu'au siècle précédent, c'étaient ceux qui n'avaient pas de famille. Le changement de mot nous dit bien quelque chose : la principale exclusion, c'est de ne pas avoir de logement.

Dès que vous avez une maison, un point d'eau, une douche, vous rentrez déjà un peu dans la société, vous avez une adresse, vous pouvez vous laver, vous raser, etc. Faut-il encore pouvoir se payer des lames de rasoir. C'est la première exclusion. La deuxième effectivement, c'est le soin du corps et particulièrement pour les dames, parce qu'au fond, ce sont des sujets dont on commence à parler maintenant. Les protections périodiques, maintenant, il y a des distributeurs dans les universités, il y a des sociétés qui se sont spécialisées.

Alors pendant longtemps, c'était un peu honteux, on n'en parlait pas. C'était comme la gratuité de la pilule, jusqu'à un certain âge, ou des préservatifs ; toutes ces questions qui avaient un lien au corps des femmes ou à la sexualité, on les cachait, on les cache moins. C'est une très bonne chose. Ne revenons pas sur l'IVG qui rentre dans la même catégorie, le passage de l'IVG dans la Constitution rentre aussi dans l'inscription du droit des femmes à leur corps, et effectivement leur souveraineté sur leur corps. Ça, ça me semble le fond du débat sur ces différents sujets.

Pour en revenir à ce sondage, il y a aussi en dehors des protections périodiques, la question sur d'autres produits d'hygiène, et les jeunes sont les plus concernés : 41% des 18/24 ans ont déjà dû arbitrer entre un achat de nourriture et d'un produit d'hygiène. Et cela provoque, d'après l'association Dons solidaires, un sentiment de malaise chez les jeunes qui conduit à un évitement social ?

D'abord, on est dans des sociétés de l'image, dans des sociétés du paraître. Bien sûr que la confiance en soi, quand on ne se sent pas belle, quand on n'est pas bien rasé, quand on n’est pas maquillé, ça concerne aussi les garçons, cette étude. D'une certaine façon, on n'est pas maître de son apparence, mais ça nous renvoie à quoi ? Ça nous renvoie au fait qu'avec la jeunesse, on a un problème qu'on ne traite pas. On est dans une société où de 16 à 26 ans, on apprend à devenir adulte. Tantôt on bosse, tantôt on ne bosse pas, tantôt on est en couple, on se sépare.

C'est une propédeutique de la vie, quoi, une période d'apprentissage. Et puis à 26 ans, on se stabilise, CDI, des bébés à 30 ans etc... Dans cette génération, une partie a droit à la sécurité sociale étudiante, mais moi, je pense qu'il faut donner la sécurité sociale à tous les jeunes. Il y a toute une réflexion à faire sur la jeunesse, et après qu'on les aide à travailler, moi je suis très favorable au travail à temps partiel des jeunes, mais effectivement, il faut que ça soit beaucoup mieux organisé.


Cette étude justement, met en opposition, produits d'hygiène contre produits alimentaires, le sacrifice fait sur l'un ou l'autre, on a l'impression que ça rappelle un peu ce débat qui a été mal vécu par beaucoup, sur ce qui était essentiel et non essentiel pendant le Covid, alors que tout peut paraître essentiel dans ces périodes-là...

La beauté, c'est essentiel, plaire, c'est essentiel, manger, c'est évidemment primordial, et manger pour avoir un corps qui soit beau, dans une société où la plupart d'entre nous passons notre vie assis, et c'est pour ça qu'il y a tant de gens qui marchent, qui font du sport, etc.

On est dans une société où on a envie d'être séduisant, sans limite d'âge. C'est une bonne chose, je pense, cette société du désir, et donc c'est un vrai problème, ce choix. Il faut arriver à ce que ça diminue !

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.