Le manque d'attrait des jeunes pour l'industrie : "On a là une bataille culturelle pour montrer que cette industrie s'est transformée" estime Jean Viard

Avec le sociologue Jean Viard, on se demande aujourd'hui pourquoi le monde industriel n'intéresse plus autant les jeunes. Selon lui, l'industrie aujourd'hui, c'est le grand lieu de l'innovation, de la guerre écologique. Décryptage.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Un ingénieur travaillant sur une tablette numérique avec affichage de numérisation dans une zone de production automatisée. Il utlise un bras robotisé dans un process de nuit, pour améliorer la production. (Illustration) (CRAVETIGER / MOMENT RF / GETTY IMAGES)

Des études et sondages nous montrent ces derniers jours que les jeunes ont une mauvaise image, une image faussée, en tout cas du monde de l'industrie.

franceinfo : Que faut-il déduire de ces études et sondages sur les réticences des jeunes en la matière ?

Jean Viard : Alors c'est un vrai problème parce que si on suit à peu près les projections actuelles, on va créer, en 10 ans, 1 million d'emplois dans ce secteur, et pour la moitié des emplois disponibles, on a du mal à trouver des gens, ça signifie qu'on a un vrai problème. J'étais à Cherbourg récemment, ils ont 4000 emplois dans l'industrie nucléaire et ils rencontrent des difficultés pour trouver des jeunes intéressés.

Alors pourquoi ça attire moins les jeunes ? D'une part parce qu'ils en ont une image complètement fausse, ils pensent que l'industrie, c'est la moitié des pollutions, alors que ce n'est absolument pas le cas. L’industrie produit 17% des gaz à effet de serre et pas 50%. L'image est complètement décalée dans la jeunesse, beaucoup plus que chez les personnes âgées parce que les plus âgés ont connu l'industrie avant sa disparition. Actuellement, il y a 10% de l'activité industrielle en France, on était à presque 20% auparavant.

Et puis l'industrie est très masculine, et tous les métiers d'ingénieur, qui mènent à l'industrie, les grandes écoles d'ingénieurs, c'est 70% de garçons, donc ce sont des mondes qui se féminisent lentement, et les filles ont plutôt tendance à être attirées vers les bureaux d'études etc. Et en plus, il y a une chose terrible, c'est que tout le monde est convaincu qu'un ouvrier est moins bien payé que les autres, et que c'est un métier sale, mais non, ce n’est pas ça.

L’industrie aujourd'hui, ce sont des métiers de gens très formés, mieux payés que les autres métiers autour d'eux, dans un environnement qui est beaucoup plus technologique et numérique, vous entrez dans une usine, c'est très automatisé, en réalité.

On a là une bataille culturelle, pour montrer que cette industrie s'est transformée. Il y a des industries qui sont encore très polluantes, faut pas non plus se le cacher. Et justement, ils ont besoin de jeunes ingénieurs, pour faire transformer les processus de production, parce que ceux qui sont dans les entreprises actuellement n'ont pas cette formation.

Mais c'est vrai que ces dernières années, on a aussi beaucoup entendu parler de délocalisations, d'usines qui ferment, de centaines de gens au chômage, ça n'a pas aidé ?

Non, mais parce que c'est vrai. L'industrie française s'était effondrée, parce qu'on s'était dit que c'était mieux de les mettre dans des pays où la main-d’œuvre était moins chère, et parce qu'on s'était dit que plutôt que de faire venir des immigrés dans nos usines, il valait mieux mettre les usines là-bas, et avoir moins d'immigrés. Faut pas se cacher non plus que la bataille identitaire était derrière, aussi, et donc on a eu ça, et on a l'image des usines qui ferment. Et justement mais une des choses qui marchent bien, c'est la création d'usines, qui redémarre lentement, ce n'est pas une folie, mais c'est quand même important par rapport à avant, puisqu'on reculait.

Il y a un retournement, à la fois le métier a changé, et en plus, la France y cherche une nouvelle place, et on est dans des industries profondément différentes. L'industrie aujourd'hui, c'est l'intelligence artificielle, avec un tout nouveau rapport à la nature. Avant l'industrie, c'était dominer la nature par la force. Aujourd'hui, l'industrie, c'est jouer avec la nature, avec le vent, avec le soleil, pour évidemment produire de l'énergie.

Et quels peuvent être finalement les risques pour le secteur de l'industrie à ne plus réussir à attirer les jeunes comme il a pu le faire ?

Le risque, c'est que le secteur ne se développe pas, qu'il ne progresse pas et que, par conséquent, on importe. Regardez ce qui se passe avec les panneaux solaires qui viennent de Chine, ça peut être vrai avec les voitures électriques. Pour les Français, l'industrie c'est d'abord l'aéronautique, la voiture, les armées et puis, reconnaissons-le, tous les produits cosmétiques. Ce sont les quatre grands secteurs qu'on a en tête, et donc le danger, c'est de ne pas développer ces secteurs.

Or, en ce moment, il y a une bataille pour la relocalisation de plein d'activités, on s'est rendu compte que ce n'est pas la peine de déplacer sur toute la planète, quelque chose qui vient de loin alors qu'on peut le faire tout prêt. Et l'industrie, c'est le grand lieu de l'innovation, de la guerre écologique. La guerre écologique, qu'on doit gagner ! Bien sûr, il y a des changements de comportement, de modes de vie, de consommation, mais il y a aussi énormément d'innovation industrielle pour mener cette guerre. Tous les pays qui ne seront pas dans cette bataille-là, seront en retard dans la guerre écologique. Et ça, c'est tragique pour l'avenir de nos enfants.

Le nouveau livre de Jean Viard, L'individu écologique, Naissance d'une civilisation sort la semaine prochaine aux Editions de l'Aube.

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