Le super hard discount arrive en France : "Les bobos consomment autrement, et les milieux populaires vont en profiter, ça va jouer des deux côtés", estime Jean Viard

Le super hard discount va-t-il être un succès en France, on se pose la question parce que le groupe Carrefour vient d'ouvrir à Aulnay-sous-Bois, près de Paris, le premier Atacadão, format de magasin qu'il a déjà bien éprouvé au Brésil.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Alexandre Bompard, directeur général de Carrefour, dans le premier magasin Atacadão à Aulnay-sous-Bois, le 20 juin 2024. Une chaîne discount avec des produits moins chers mais aux références moins nombreuses. (LP / OLIVIER LEJEUNE / MAXPPP)

Les consommateurs français seront-ils séduits par le super hard discount ? Une question de société que l'on décrypte avec le sociologue Jean Viard aujourd'hui. Le groupe Carrefour vient en effet d'ouvrir cette semaine à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, le premier Atacadão, qui rencontre un réel succès au Brésil.

Un très grand magasin aux allures d'entrepôt. Les produits sont sur des palettes, vendus en gros, à des prix qu'on ne trouve pas en France. Premier Carrefour qui se donne un peu moins d'un an, pour voir si le modèle fonctionne chez nous.

franceinfo : Jean Viard, est-ce que vous pensez que ça va fonctionner ?

Jean Viard : Oui, je pense que ça va fonctionner. Pourquoi ? La consommation se déplace énormément. 70% d'entre nous, ont commandé quelque chose par Internet la semaine dernière, et la livraison explose. Ça, c'est le mouvement dominant. Le deuxième mouvement, c'est qu’on a envie d'acheter local. Ce n'est pas le cas ici, pas forcément. Et le troisième mouvement, c'est qu'on a envie de mettre moins d'argent dans la consommation.

Et si vous voulez, en France, comme on est un pays de grands dépressifs, on est tout le temps en train de dire : on n'a plus d'argent, les fins de mois, etc. Je suis allé voir la Banque de France, on peut en penser ce qu'on veut, mais en fait, ils disent que depuis 1999, le revenu moyen des Français a augmenté de 26%, alors que la moyenne de l'OCDE, c'est 17%.

Après, il y a les charges à mettre en place, et notamment l'inflation ces derniers mois, qui crée beaucoup de tensions sur le budget de certains ménages ?

Tout à fait, mais quand même, les Français sont ceux dont le revenu a le plus augmenté dans tous les pays de l'OCDE, parce que les autres aussi, ils ont aussi l'inflation, des charges, des abonnements téléphone, etc. Donc, c'est vrai qu'en France on a une vision catastrophique des mutations. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des gens qui ont des gros problèmes de fin de mois, eux, ils vont utiliser ces endroits, parce que c'est encore moins cher, bien entendu.

Mais il y a aussi ceux qui vont hésiter entre Biocoop et ça si je peux prendre un parallèle, parce qu'il y a une nouvelle façon de consommer, on ne va pas être obligé d'avoir 10 plaquettes de chocolat, on en aura peut-être une ou deux...

Des références différentes, vous voulez dire ?

Bien sûr, on a moins de références, et puis plus de vrac, et puis moins de personnel.

C'est le cas en effet pour ce magasin qui ouvre, un magasin franchisé, donc c'était déjà un magasin avant. Il y a en effet plusieurs dizaines de salariés en moins dans ce nouveau magasin. Les syndicats du groupe Carrefour disent que ces prix bas se font au détriment du modèle social ?

Oui, mais bien entendu. La grande distribution a été le triomphe de l'économie française de l'après-guerre. La plupart des grandes chaînes mondiales, que ce soit Auchan, Hyper U, Leclerc ou d'autres, sont souvent partis de France. Donc y compris parce que c'est une certaine idée du territoire, parce que ces grands magasins, on les a installés autour des villes avec ronds points, supermarchés, etc. On en a dans le monde entier. Partout vous trouvez ces marques.

On est dans une autre époque de la consommation. Ces grands magasins étaient en concurrence entre eux, mais on avait quand même le même nombre de références. Vous aviez 20 cafés, on était dans l'hyper diversité des offres, chacun cherchant à dire qu'il était le moins cher.

Mais les consommateurs sont prêts à ça, à avoir moins de références pour payer moins cher aujourd'hui ?

Mais bien sûr, parce qu'on est rentré dans une autre époque – c'est comme le fait qu'on achète de plus en plus de produits d'occasion. Alors la question, c'est la qualité des produits, est-ce que les produits sont à qualité égale ? Il y a eu des études qui ont été faites, pas sur cette chaîne-là, mais sur d'autres chaînes à bas prix. Au début, on dit c'est vraiment scandaleux pour les pauvres, on fait des produits qui ne sont pas de qualité. Ce n'est pas toujours vrai.

C'est quoi la qualité ? Est-ce que c'est quelque chose de tout prêt avec beaucoup de sucre dedans, ou est-ce que ce sont des produits frais qu'il faut cuisiner soi-même ? Il y a aussi derrière ça un rapport à l'alimentation. Tout ça bouge quoi.

Dernier point soulevé, notamment par des élus qui devaient à Sevran accueillir le premier magasin Atacadão – celui qui ouvre finalement à Aulnay-sous-Bois – des élus s'y étaient opposés, ils ont eu gain de cause parce qu'ils dénonçaient l'instauration d'une société à deux vitesses, finalement des magasins pour les pauvres, des magasins pour les riches ?

Oui, je ne suis pas sûr... C'est compliqué, parce que c'est la consommation qui change. Moi j'aurais plutôt tendance à dire : les bobos consomment autrement, et les milieux populaires vont en profiter, parce que s’il y a des trucs moins chers, ça va jouer des deux côtés. Donc je ne suis pas sûr. Mais le fait que ça diminue le nombre de personnels oui, c'est le même débat sur les autoroutes. On a supprimé les caissiers aux péages.

Donc là il y a effectivement une évolution du commerce qui fait que la grande surface sera moins un grand secteur d'embauche, il ne faut pas se le cacher. La question c'est, où vont travailler les gens ? Ça, c'est un autre débat de mutation. Il faut essayer quand même de garder une vision des changements, et le monde ne s'effondre pas, même si pour certains le monde est difficile.

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