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"Noël, c'est quand même un événement important pour la cohésion des familles et la cohésion sociale", Jean Viard

Chaque week end, on pose une question de société au sociologue Jean Viard sur franceinfo, et comment ne pas parler de Noël aujourd'hui ? Un Noël forcément particulier cette année encore, puisque le Covid joue le trouble-fête.

Article rédigé par franceinfo - Jean Viard, Benjamin Fontaine
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le port charmant de Saint-Goustan, du nom du patron des marins et des pêcheurs, dans le Morbihan, avec ses vieux bateaux illuminés pour les fêtes de Noël.  (ANTOINE LORGNIER / ONLY FRANCE VIA AFP)

On ne compte pas les familles privées de réveillon en ce jour de Noël, parce qu'un oncle ou une sœur est positive au virus ou cas contact. Mais ces annulations arrangent peut être certains les "natalophobes", les angoissés de Noël qui disent : "De toute façon, je n'aime pas Noël. Ce genre de réunion de famille, ça m'angoisse."

franceinfo : Pourquoi on doit faire la fête ce jour-là ? On a l'impression de l'entendre de plus en plus. Ce n'est plus aussi fédérateur Noël ? 

Jean-Viard : Oh si, vous êtes un peu pessimiste, un peu parisien, mais c'est vrai qu'il y a un âge, entre 20 et 30 ans, bon, c'est moins facile parce qu'on n'a plus envie d'être un enfant. Et on n'est pas encore parents, en général. Donc, c'est vrai qu'il y a un peu un creux, mais sinon, ça reste la grande fête de la famille, de l'affection, des cadeaux.

Alors il faut dire tout ça. Il faut faire attention quand on regarde les indicateurs de bonheur, par exemple. Depuis un an, ils ont augmenté. On est passé de 75% des gens qui se déclarent heureux à 80%. Donc, bien sûr qu'il y a la crise, y a tout ça. Mais en même temps, pourquoi ? Parce qu'on s'est replié sur la famille. On s'est replié sur le proche. Souvent, on a réduit certains déplacements, un peu contraint et au fond, on se rend compte qu'on est très heureux comme ça.

Peut-être qu'il ne faudrait pas que ça dure trop parce que ça nous replie un peu sur nous-mêmes, mais sur le fond, je crois que les gens, en ce moment, ils sont plutôt heureux. Ils sont très proches de leur famille, mais c'est un Noël qui va être pas large. Mais vous savez, ça évite aussi d'inviter le grand-oncle au fond, qui est un peu casse-pieds, etc. Faut pas être complètement naïf non plus...

Justement pour certains, ça représente ça aussi Noël ? 

Oui, mais Noël, c'est aussi le fait que ça représente d'abord ces trois générations. Parce qu'il y a les grands-parents et les petits-enfants. C'est un grand moment intergénérationnel. Mais après, il faut dire aussi qu'il y a 10 millions de Français qui vivent tout seul. Il y a cet âge-là, 20/30 ans, donc il y a aussi toutes ces questions.

Il faut aussi penser à l'envers de Noël, les familles, les gens qui n'ont pas d'enfants. Les gens qui ont perdu leur enfant. Les gens tout seuls. Les gens que leurs enfants ont délaissés, il y en a quand même beaucoup. Donc faut penser aussi à tous ces "tristes" à Noël. Ils sont très minoritaires, mais ça fait partie aussi de Noël. Il faut y penser. Il y a la joie qui s'exprime. Et puis, il y a la tristesse des autres, mais il faut les reconnaître, en parler, le dire, etc...

Et on pense à eux, évidemment, aujourd'hui. Est-ce que le Covid qui met un coup aux rassemblements familiaux en général depuis deux ans, et au réveillon de Noël en particulier, cette année encore, peut modifier un peu nos habitudes sur le long terme ? 

Je crois que sur le long terme, la société se réorganise sur le local et sur la famille. Je pense que c'est un phénomène de fond. Après une période avant, où au fond, la mode, c'était la modernité, la mobilité, tout le temps, etc. Là, il y a un phénomène de fond. Ce qui a beaucoup changé, c'est que depuis 1981, depuis qu'on a eu la cinquième semaine de congés payés, en fait, entre Noël et le jour de L'an, on ne travaille plus, sauf les professionnels de la pâtisserie, les policiers, les pompiers, etc.

Donc, ça veut dire qu'au fond, c'est une semaine de vacances, et ça, ça a énormément changé. Ce n'était pas le cas avant, jusqu'aux années 80, ce n'était pas une semaine de vacances. Il y avait deux fois un jour, où on ne travaillait pas, mais le lundi, on était tous au travail. Donc, c'est une période un peu longue.

Il y a beaucoup de gens qui se déplacent. Les gens qui ont des résidences secondaires vont dans leur résidence secondaire, etc. Il y a le ski, évidemment. Cette année, il y a de la neige. Ce n'est pas le cas à tous les Noël. Donc, ceux qui peuvent se payer le ski, les 8 à 10% de Français qui vont au ski, eux ils vont essayer d'aller au ski. C'est parfois aussi une façon d'échapper un peu au Noël familial. On dit : "ah, je ne peux pas, je suis au ski !" Il y a tout ça. Je crois que c'est ça qu'il faut dire. Il y a tous ces mouvements en même temps.

Donc c'est depuis les années 80, que vraiment, on sacralise ce moment de convivialité en fait ? 

Qu'on sacralise la semaine de vacances ! Avant, il y avait déjà Noël. Le père Noël tel qu'on le connaît, c'est une invention de Coca-Cola. Il faut faire attention. Avant, il y avait Saint-Nicolas depuis très, très longtemps. Et en Belgique, par exemple, Saint-Nicolas est presque encore une fête plus importante en réalité, que Noël, parce que Saint-Nicolas, c'est lui qui a amené les cadeaux aux enfants et tout ça, et puis, effectivement, Coca-Cola, quand il s'est lancé, a fait de lui le personnage rouge, rouge et blanc qu'on a maintenant.

C'est un design Coca-Cola qui s'est imposé sur toute la planète avec le Coca-Cola, c'est pour ça qu'il y a des tas de gens qui ne sont pas du tout chrétiens. Ils font Noël. Les enfants, c'est la fête. C'est devenu la fête des enfants. Faut le dire aussi, c'est quand même ça. Pour une fois qu'on met les enfants au centre, je trouve que c'est quand même un événement important pour la cohésion des familles et la cohésion sociale.

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