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Question de société. Jean Viard : "Le futur se reconstruit en respectant le passé mais on prend acte du traumatisme"

La résilience, outil de mise à jour de nos sociétés et de notre époque ? Le sociologue Jean Viard revient sur cette notion de résilience popularisée par Boris Cyrulnik, aujourd'hui souvent utilisée par les responsables politiques. 

Article rédigé par franceinfo, Edouard Marguier
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5 min
Après la tempête Alex à Saint-Laurent-du-Var le 4 octobre 2020.  (VALERY HACHE / AFP)

Nous revenons aujourd’hui avec le sociologue Jean Viard sur le concept de résilience. Ce mot revient souvent dans la bouche de nos dirigeants notamment dans la crise du Covid-19. Quand le président Macron a eu recours aux militaires, il a baptisé leur mission Opération résilience. Et puis, cette semaine, après les crues dans les Alpes-Maritimes, Emmanuel Macron et son Premier ministre, Jean Castex ont prononcé ce terme.

franceinfo : Jean Viard, n'est-ce pas un peu tôt de parler de résilience, de rebond face à la difficulté ?

C'est compliqué. Il a dit exactement : "on va pas reconstruire à l'identique, car il faut quelque chose de résilient". Le mot résilient, c'est un mot un peu ancien, mais Boris Cyrulnik l'a énormément popularisé dans les années 90, c’est avec ça qu'il analysait notamment les gens qui sortaient des camps de la mort et qu'il les soignait. Au fond, l'idée, c'est quoi? On prend acte du traumatisme. On n'essaye pas de l'effacer, l'oublier, ce qui est évidemment impossible pour quelqu'un qui a été dans les camps de la mort. Mais par contre, on essaye de l'aider à se reconstruire, disons de telle manière qu'il soit socialement acceptable, c’est-à-dire que la société l'accepte dans ses nouveaux comportements, et que lui soit à l'aise dans ces nouveaux comportements. Donc on ne prétend pas le refaire démarrer comme quand il était bébé. Ce n'est pas possible, mais on prétend effectivement lui redonner une force intérieure et effectivement, permettre aux autres de vivre avec lui.

C'est cette idée de reconstruction au fond, en prenant acte, alors Boris Cyrulnik l’expliquerait bien mieux que moi, moi je suis sociologue, mais je trouve que cette idée intéressante. Au fond, on reconstruit, on ne cache pas le traumatisme, mais en même temps, si vous voulez, on accepte que ça soit un peu différent. Pour prendre un autre exemple après-guerre, quand on a reconstruit Saint-Malo, on l’a fait à l'identique. En gros, c'est pareil qu'avant. Sauf que c’est neuf, mais c'est pareil. Il y a d'autres endroits, on a fait moderne. Il y a certaines villes le long de la Loire qui avaient été bombardées, les ponts étaient tombés à cause des bombardements, et donc les maisons aux deux têtes de pont, comme on dit, étaient détruites. Là, on a parfois fait des choses à l'époque, qui étaient comme moderne. On voulait être moderne. Donc il y avait l’identique et le moderne.

D'une part, c'est vrai que le mot résilience est lié à la psychologie, mais les politiques se mettent à l'utiliser. Il me semble que Ségolène Royal a écrit un livre qui s'appelle Résilience française. Voyez, c'est rentré dans le langage politique. Cela veut dire que pour aller vers le futur, il faut s'appuyer sur les structurations héritées, sur la structuration culturelle, sur la structuration patrimoniale, etc. Au fond, le futur se reconstruit en respectant le passé. On pourrait dire hier, on aurait voulu faire moderne, aujourd'hui, on cherche à restaurer l'esprit des lieux, même si on sait qu'en réalité, on va faire de l'hyper technologie. Le pont qu’on va reconstruire à l'identique, il va pas être en pierre de taille. Il va être en béton, mais il aura la même forme. Les gens qui passeront dans la vallée auront le même sentiment.

Au fond, c'est cette idée-là, si vous voulez, je crois, qui rentre dans cette idée de résilience dans le champ public. Le fait qu'on va retrouver la même ambiance, mais effectivement, ce n'est pas exactement une reconduction à l'identique parce qu'on a de nouvelles technologies intégrées dedans : le haut débit, le câble, la sécurité, etc. Parce qu’on sait qu'il y aura d'autres catastrophes, et que donc il faut en même temps que ça soit prêt, j’allais dire, pour la prochaine inondation, parce qu'on sait bien que le réchauffement climatique va entraîner des répétitions de ces phénomènes.

Mais avec la crise environnementale, avec la crise sanitaire qui dure, est-ce que finalement la résilience n'est pas notre avenir, et ça en fait une véritable question sociétale ?

Mais je pense, c'est pour cela que si vous voulez chez Emmanuel Macron, c'est un peu la même question sur le séparatisme, où au fond, moi au début, j'étais un peu sceptique et je pense que finalement, c'est une avancée intellectuelle. Au fond, il fait la même chose. C'est aussi parce que c'est un peu sa compétence. Il cherche le mot à déplacer - il l'a repris chez Ségolène Royal je pense - pour dire effectivement ça.

Cette pandémie, elle nous a tous traumatisés et au fond, elle a fermé ce qu'on a appelé l'époque de la modernité.

Jean Viard

C'est ce que je dis dans mon dernier livre : ce qui s’est déroulé après 1945, fallait que tout soit moderne. Les immeubles devaient être modernes, les ronds-points devaient être modernes, les usines devaient être rectangulaires, les commerces, c’était des grands magasins, en fait, on était envahis par ces symboles de modernité, notamment architecturaux.

Je pense que ce qu'on est en train de se dire en ce moment, c'est qu'on a envie de local. On a envie de lieux où, effectivement, je dirais qu'il y a une ambiance héritée, qui marque le temps. Ça ne veut pas dire que rien ne change parce qu’il faut justement que, en même temps, il y ait du haut débit, en même temps qu’on puisse y accéder par des moyens de transport écologiques, etc. Et donc, si vous voulez, ce n'est pas un blocage, mais c'est l'idée que casser l'héritage au fond, c'est une mauvaise idée parce que dans les sociétés anciennes, on avait toujours cette volonté de modernisation, de révolution, la révolution, au fond, c'était presque : je détruis pour reconstruire. Quand on connaît les pays de l’Est, la Bulgarie, par exemple, j'allais dire c'est quasiment effrayant parce qu'ils ont détruit la ville historique pour reconstruire ce que nous, on appellerait une ville de HLM à la place. Aujourd'hui, ça fait scandale, mais il y a 50 ans, c'était ça qui était moderne. Je crois que justement on sort de ça. 

Les gens ont besoin d'appartenir à leur territoire, d'en connaître la culture, de reconnaître son esthétique, de reconnaître les couleurs des immeubles, la nature des plantes, et en même temps, évidemment, de l'intégrer dans le réchauffement climatique.

Jean Viard

franceinfo

On va pas reconstruire des maisons à l'identique, parce qu'aujourd'hui, les maisons, il faut qu'elle se fasse de l'ombre les unes sur les autres, parce qu'il va faire plus chaud. Donc, toute cette question de gérer la chaleur, l’ombre, le soleil, va être une question hyper technologique, mais l'ambiance doit être une ambiance héritée.   

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