Question de société. Jean Viard : "On s'use à être restreint, mais on entre dans une lecture plus intelligente de la réalité de la société"
Confinement ou pas ? Le mot lui-même n'est pas prononcé par l'exécutif. Il est même rejeté, comme par le ministre de la Santé, aujourd'hui dimanche 21 mars, dans les colonnes du "Parisien". Le décryptage du sociologue Jean Viard.
Le sociologue Jean Viard nous aide à répondre à une question de société, chaque dimanche sur franceinfo. Les mesures renforcées qui sont prises dans 16 départements de notre pays, relèvent d'une logique tout à fait différente des épisodes de confinements précédents. Un Français sur trois démarre le printemps confiné, mais au grand air, finalement sans attestation, si on reste près de chez soi.
franceinfo : Jean Viard, faut il comprendre que l'État ne veut plus, ne peut plus peut-être contraindre davantage la population après un an de crise ?
Il y a plusieurs choses. C'est ce que disait Vincent Maréchal sur votre antenne aujourd'hui, rappelant que la maladie ne se transmet que quand un homme s'approche d'un autre homme, un homme ou une femme, un humain, puisque ça passe par l'air ou par le toucher. Donc, forcément, si la maladie se développe, c'est qu'il y a des gens qui ne respectent pas les règles barrières. C'est la première chose.
La deuxième, c'est aussi que la science a fait des progrès puisque maintenant, en gros, on considère que 5% des transmissions se font à l'extérieur. Une information qu'on n'avait pas il y a un an. Donc, c'est normal d'adapter et de se dire 5%, ça peut se gérer. Parce que le but, c'est pas zéro transmission. On ne peut pas enfermer une société. Maintenant, regardez, on a accepté 300 morts par jour. On ne les aurait jamais acceptés il y a un an.
Donc, il y a une acceptabilité des choses parce que la vie est de plus en plus difficile. Il ne faut pas se cacher. On voit bien les mouvements dans la culture, ou même certains jeunes. Donc, c'est tout ça qu'il y a derrière, il y a une société usée, il y a le progrès de la science, y a le vaccin, mais le vaccin, on a peur qu'il y ait des variantes qui ne marchent pas. L'horizon est bouché.
Vous nous dites que aujourd'hui, on n'accepte davantage l'idée d'avoir 300 morts par jour environ, que d'être restreint dans ses libertés pour on ne sait quelle durée ?
Mais c'est parce que on s'use à être restreint. C'est comme les peines de prison, plus elles sont longues, plus elles sont pénibles. Au début, on a eu un débat entre santé et économie. D'abord la santé. Après, on a eu toute une période où nous a parlé de crise économique, alors qu'en fait, personne n'en sait vraiment rien. Parce que y a jamais eu un arrêt des économies, il y a eu des crises économiques, mais là, tout est arrêté. Donc comment ça va redémarrer, en fait on n'en sait rien.
Donc maintenant, la parole est beaucoup aux psys, ce qui est bien d'ailleurs, parce qu'il y a 23% des gens qui sont en dépression, agressés, etc., mais on essaye aussi de laisser les gens vivre, il y a un problème de soupape. Le problème, c'est qu'il y a 68 millions de cerveaux qui doivent se protéger. La question, ce n'est pas d'enfermer les gens ou de mettre des PV. Ça ne sert à rien, mais c'est comment les gens ont des comportements auto-régulés de responsabilité, alors qu'on sait qu'il y en a 10% ou 15% qui transgressent, et à peu près 40% qui, de temps en temps, font un impair.
Donc la question c'est comment, au fond, les plus récalcitrants qui sont ceux qui transmettent la maladie, comment on arrive à les limiter un peu. Soyons clair, c'est ça l'enjeu.
Ne pas resserrer la bride, peut-être accorder plus d'importance aujourd'hui à la parole des psychologues davantage qu'aux épidémiologistes et aux médecins réanimateurs. Est-ce que c'est un choix pragmatique, comme vous l'avez dit ? Et aussi, ou peut être surtout un choix politique ?
Ce qui est vrai, c'est que c'est aussi un choix politique. Mais c'est aussi parce que on sait tous qu'après les crises, d'après les études qu'on a, c'est qu'il faut 18 mois à 3 ans pour en voir toutes les conséquences. Les faillites, les suicides, les divorces, etc. Parce que les gens commencent à aller pas bien. Et puis, à un moment, ils tombent.
On sait qu'on a ces processus-là, et en plus, soyons pas naïfs, on entre en période électorale, donc forcément, on va de plus en plus en plus entendre des points de vue qui ne sont pas tellement liés à la compétence médicale, qui sont plus liés au fait de dire : le gouvernement est mauvais, etc. Donc, ça va être compliqué de se faire une opinion dans cette période. Donc, il y a une recherche de novation.
Moi, je dirais une chose : ce qui est frappant, c'est qu'on voit le jacobinisme français quand même en train de disparaître. C'est-à-dire que si vous voulez la France, qui a toujours été sur un principe d'égalité absolue, y compris de domination, mais en gros, là, on dit telle région, c'est comme ça, telle région c'est autrement. Nice, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, on va isoler le département de Nice, mais on ne va pas bloquer Marseille, donc on entre dans une lecture plus intelligente de la réalité de la société. Je crois aussi que ça, c'est quelque chose qui va jouer pour l'avenir dans une autre façon de gouverner la France,
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