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Question de société. Jean Viard sur l'Euro de football : "La joie de gagner galvanise les sociétés"

Euro de football : la France jouait samedi 19 juin son deuxième match contre la Hongrie dans un stade plein à craquer à Budapest. Une image assez symbolique dans cette pandémie. Décryptage avec le sociologue Jean Viard. 

Article rédigé par franceinfo, Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Les supporters français se congratulent après l'égalisation contre la Hongrie lors du deuxième match de l'Euro 2020, samedi 19 juin à Budapest.   (ZENTRALBILD / PICTURE ALLIANCE / DPPI via AFP)

Tous les dimanches, on retrouve le sociologue Jean Viard pour évoquer une question de société, aujourd'hui la France en plein Euro de football. Les bleus jouaient hier contre la Hongrie, avec des images de liesse, et un stade plein à craquer...

franceinfo : Quand on dit que le sport rassemble, là, c'est un exemple très concret ?  

Jean Viard : Oui, alors j'étais un peu surpris parce que je pensais qu'il y avait des règles plus strictes pour la pandémie. Mais c'était génial. Ça a changé le match par rapport aux matchs qu'on voyait précédemment. Je pense que ça n'a pas aidé la France parce que les Hongrois étaient très soutenus, et les Français ont dit qu'ils avaient pris l'habitude de se parler et qu'ils ne pouvaient pas s'entendre. Il faudrait qu'ils apprennent à jouer avec du public. Mais c'est clair, il y a un côté de soutien, de force. Il y a un côté de violence aussi. Tous ces hommes torses nus qui font des gestes. On croise les bras, on les décroise, d'autres gestes sont politiquement plus discutables. Il y a en même temps une énorme force. On voit ce que c'est qu'une société quoi, c'est une énorme communauté de puissance.

Là, c'était surtout des hommes mais ça peut être des femmes. Et le foot, là, c'était très masculin, parce que souvent, en France, c'est plus mixte. Et je crois qu'il y a cette idée au fond, on avait la violence, on l'avait mise sous le boisseau pendant 18 mois et en se disant au fond, finalement, on a été sages, parce que cette violence elle était là. On a bien vu dans les couples qu'il y a quand même 10% des couples qui ont eu des rapports de violence. C'est plutôt les dames qui ont été frappées, il faut le dire quand même. Mais en gros, on avait contenu la violence. Et là, on la voit qui se libère. Ça fait plaisir, c'est la vie. Mais on voit aussi le danger de ces violences-là. 

Il y avait aussi quand même, beaucoup de ferveur positive, beaucoup de joie, beaucoup d'allant. Et avec ce côté, en effet, patriotique, c'est pas tous les jours, y compris en France, qu'on porte les couleurs de son pays, qu'on peut mettre un drapeau bleu blanc rouge à sa fenêtre ? 

Oui, mais bien sûr, c'est un des intérêts vous savez, la nation, ça existe. On l'avait vu pendant la pandémie. Et puis moi, je trouve que le drapeau, il est sur le terrain. Moi, quand je vois tous ces jeunes Blancs ou Noirs mélangés, croisés, Algériens d'origine, tous ces enfants des banlieues françaises. C'est ça, quelque part, c'est beaucoup la France. C'est évidemment le drapeau bleu blanc rouge, mais c'est aussi ces jeunes, d'ailleurs si vous remarquez, c'est la même couleur, si je peux me permettre, que les jeunes qui se battent pour nous, pour les armées françaises au Mali. Quand on parle des morts au Mali, ils ont aussi ces mêmes origines. J'avais envie de dire c'est vraiment ça, la France, quoi.

Et en même temps, la nation, on l'a bien vu pendant la pandémie, c'est un des cadres fondateurs de la société. "Le nationalisme, c'est la guerre", comme disait François Mitterand. Aujourd'hui, on ne peut pas parler politique, mais pas la nation. La nation, c'est le commun, c'est la mémoire commune, c'est des symboles. Alors qu'on aime ou qu'on n'aime pas. On n'est pas obligé d'aimer Macron, l'Elysée, tout ça, ça n'a rien à voir. Mais quelque part, on a un commun, et on l'a bien vu pendant la pandémie, on a des règles sanitaires, etc. Et donc glorifiant la nation comme fierté, je crois que c'est pas honteux, mais n'en faisons pas une arme de guerre. Ça, c'est catastrophique. La haine de l'autre est catastrophique. Mais l'amour de soi n'est pas un crime. 

Jean Viard, est-ce que le football est profondément politique ? Parce qu'il y a beaucoup d'amateurs de football qui voudraient que les politiques ne parlent pas de foot, que les footballeurs ne parlent pas forcément de politique ? Est-ce que, quoi qu'on en pense, le football, c'est quelque chose de politique ? 

La joie de gagner galvanise les sociétés. Mais on pourrait dire aussi, la joie de ne plus avoir de masques... Mais après, quand les grands patrons du foot ont voulu faire de la politique, notamment à Marseille, que je connais bien puisque moi, je suis un supporteur de l'OM incontrôlable, on voit bien que ça n'a jamais marché.

Même Pape Diouf, qui était très aimé à Marseille et qui est malheureusement mort du Covid, il s'était présenté aux élections aux dernières municipales. Il n'avait pas du tout eu de succès et ça s'était déjà produit dans le passé. Moi, je crois qu'il ne faut pas mélanger, les gens ne mélangent pas, ils sont intelligents. Le foot, c'est une chose. Le patron du club de foot, on l'adule. Même Bernard Tapie, dieu sait si on l'aime à Marseille, effectivement, il n'est pas devenu maire non plus. Donc, ne mélangeons pas les sujets.

Après, c'est normal que les hommes publics aillent assister aux matchs. Bien sûr, ils aiment plutôt être vus devant un moment de joie, que devant un cimetière. C'est sûr que ça fait partie de leur image. Dans tout ça, il y a du jeu. Vous savez, on dit souvent on a "du pain et des jeux", les cirques romains, etc. Moi, je rappelle souvent qu'on fait 6 000 fois l'amour pour faire moins de deux bébés, et que donc tous on aime bien jouer. Et curieusement, il n'y a pas que le travail dans la vie. Il y a le jeu, il y a le spectacle, il y a la joie d'être à deux. Vous savez, le match, c'est aussi l'avant match, c'est l'après match. On repart après en métro, on parle ensemble, faut dire tout ça, pour glorifier un peu le plaisir de vivre.

Le dernier livre de Jean Viard, La révolution que l'on attendait est arrivéeest paru aux éditions de l'Aube le 21 mai : 

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