Succès du commerce discount : "C'est un mouvement de fond où la consommation n'est plus un culte, c'est une consommation de service", estime Jean Viard
Question de société s'intéresse aujourd'hui aux stockeurs discounters qui fleurissent partout en France dans les zones commerciales. Ils s'appellent Action, Normal, Stokomani ou Tedi, pour le dernier arrivé ; cette nouvelle enseigne ouvre d'ailleurs,aujourd'hui, son deuxième magasin dans le Pas-de-Calais. On y trouve des produits du quotidien à prix réduits, souvent fabriqués en Chine. Et ça marche très fort. Décryptage avec le sociogue Jean Viard.
franceinfo : A quels besoins cela répond selon vous, ce type de commerce ?
Jean Viard : De toute façon, dans un caddie de supermarché, quand on en sort, en dehors de l'alimentaire, il y a 60 à 80% des produits qui viennent d'Asie. Donc, ce n'est pas très particulier à ces marques. Mais après, ce qui se passe, c'est qu'après la pandémie, on a vu se développer deux grands secteurs : le proche, on voit renaître les petits commerces, etc. du moins dans une partie de la société, notamment dans les petites villes, et puis la livraison, qui a explosé. Il y a 21 millions de comptes chez Amazon, par exemple.
Et je pense que ça, c'est le commerce de l'avenir, et c'est un peu la fin, de la société de consommation en termes de système de valeurs. Je vous rappelle qu'on parlait des temples de la consommation pour les grands magasins, un temple, c'est quand même quasiment religieux.
Pourtant, là, c'est quand même le temple aussi du low-cost ?
Oui, mais justement, ce ne sont plus des temples, ce sont des objets de service, où les trucs sont en vrac ou très simplement présentés ; on ne cherche pas à vous mettre des super machins désirables, avec des clips de photos, des têtes de gondole affolantes, pour que vous consommiez plus. Il y a peu de choix, mais ce n'est pas forcément de la mauvaise qualité. Donc il y a ça qui joue. Je trouve que c'est un nouveau rapport, c'est une consommation de service. Ça vient de Hollande et d'Allemagne.
Le rapport à la consommation, nous, on en a fait vraiment un outil identitaire du commerce, et je crois qu'on en vient à un outil de service, et avec une chose qu'il faut ajouter, les gens très modestes, ils n'ont pas beaucoup de choix dans leurs achats, et donc, dans les ces magasins-là, ils peuvent acheter des choses inutiles, peut-être à 2 euros, mais quand vous faites des courses, le plaisir, c'est l'inutile. Et du coup, les gens plus aisés y vont aussi, parce qu'ils se disent : je pourrais peut-être me faire un week end de plus, si j'économise sur le quotidien. Et je crois qu'il faut rendre le droit à l'inutile, aux milieux modestes, parce que sinon, vraiment, la vie est trop difficile.
C'est aussi une réponse à un contexte économique ?
L'inflation, évidemment, renforce les choses, mais ces magasins n'ont pas été inventés à cause de l'inflation, certains ont plus de 10 ans, mais ils profitent évidemment de la période. L'inflation fait qu'on fait beaucoup plus attention à nos dépenses, notamment les dépenses alimentaires, mais pas seulement.
Dans les milieux populaires, les dépenses alimentaires, c'est 20% du budget et le logement, c'est 20%. Dans les milieux aisés, l'alimentation, c'est 13% du budget. Donc chaque milieu a ses préoccupations, effectivement, l'inflation renforce ce mouvement, mais c'est un mouvement de fond, où je crois que la consommation n'est plus un culte, si on peut dire ça comme ça.
Vous parliez du plaisir d'acheter des choses inutiles, de la pandémie aussi. C'est vrai que pendant et après le confinement, on a beaucoup entendu parler de ce monde d'après, dans lequel on devait moins consommer, mieux consommer. Tout ça, c'est un peu à contre-courant quand même ?
Non, pas du tout justement. La consommation n'est plus un culte, la consommation, c'est de se rationaliser, et donc on a effectivement des livraisons, et c'est très rationnel : une camionnette qui livre 10 familles, ça pollue moins que 10 parents qui vont au supermarché. Il faut bien voir que l'effet pollution de la livraison, quand c'est bien organisé – ce qui n'est pas encore le cas – est assez logique.
Et donc les magasins pas chers, rentrent dans cette logique, ce sont des unités de service quasi techniques, où effectivement on va faire moins d'esbroufe, et donc on va essayer de vous mettre le prix le plus bas, qui va faire qu'à la limite vous allez vous servir tout seul, passer dans une caisse électronique, et du coup, ça va être beaucoup moins cher.
Mais quand on achète inutile, on ne protège pas la planète ?
Mais acheter inutile, on le fait tous. Le problème, c'est comme tout, c'est comme de sourire à quelqu'un qu'on croise dans la rue, et au fond, on n'ira pas plus loin. Donc il faut de l'inutile. Après, le problème, c'est qu'après, derrière, il faut entrer, ce qu'on est en train de faire, dans une économie de la réutilisation.
Regardez le vêtement, on en vend beaucoup moins. Regardez ces marques qui font faillite, les magasins qui font faillite, mais on utilise plus longtemps les mêmes vêtements, et surtout, on est très fier de dire que c'est un objet d'occasion. Donc le problème, c'est comment on rentre dans ce cycle-là, de l'économie de la réutilisation et de la société bas carbone, tous ces éléments-là, je trouve qu'ils vont dans la bonne direction.
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