Travail et précarité : pour Jean Viard, "l'un des gros problèmes aujourd'hui des employeurs, c'est d'abord de trouver les salariés et de les garder"
Une marche contre le chômage et la précarité est organisée aujourd'hui à Paris, à l'appel de plusieurs collectifs et syndicats, qui restent vent debout, globalement, contre les dernières réformes de l'Assurance-chômage qui durcissent les droits des chômeurs. Et ils s'opposent aussi à la création de France Travail, la réorganisation de Pôle emploi.
franceinfo : Ce constat est assez unanime : tout le monde veut faire baisser le chômage. La question de fond, c'est comment ? Et quelle attitude par rapport aux chômeurs ?
Jean Viard : Déjà quand on s'intéresse aux plus précaires, on n'a pas complètement perdu sa journée, il faut le répéter chaque fois. Après, ce qui est vrai, c'est qu'on a créé plus d'un million d'emplois en France en très peu de temps, on est dans une situation de réduction du nombre de chômeurs, et on a jamais eu autant de Français au travail, en même temps. Le pourcentage d'actifs, comme on dit souvent, n'a jamais été aussi élevé dans l'histoire de France. Donc il faut voir cette dimension. Mais après, en ce moment, on voit bien que l'objectif du gouvernement, c'est 5% de chômeurs.
Le plein-emploi, l'objectif du plein-emploi ?
Le plein-emploi, parce que chaque pays a un taux d'emploi un peu différent en fonction des cultures locales, des gens. Ça va entre 3 et 6 ou 7%. Et le but au fond, ce serait que la France passe de la catégorie 6 à 7% où c'est quasiment du plein-emploi à la catégorie 5%. C'est un peu ça, le débat de fond. Puis, il y a un léger recul actuellement, puisque le chômage a légèrement augmenté – les prévisions disent qu'il risque de réaugmenter en janvier – notamment parce qu'il y a une crise énorme du logement, et donc du logement dit BTP et travaux publics, etc. Et là, il y a un secteur qui est en très, très grande difficulté, tous les gens qui cherchent à se loger ou à louer ou à acheter, sont au courant de cette question.
Donc après, il y a différentes façons de considérer, parce que regardez, il y a à peu près 2 millions de jeunes mamans qui vivent seules avec leurs enfants, souvent dans des quartiers où il y a très peu de garderies. Peut-être que le premier problème, c'est la crèche, parce que, quand vous avez un ou deux enfants et que vous êtes seul avec eux, comment vous faites ? Donc à un moment, il y a des gens qui sont potentiellement aptes à travailler, et ça nécessite une réflexion plus globale sur le territoire.
Quand le taux d'emploi devient de plus en plus élevé, ce sont les demandeurs d'emploi qui sont le plus souvent en position de force pour imposer leurs conditions à ceux qui cherchent à embaucher. Et donc on en revient à ces exigences que peuvent avoir les travailleurs, en termes d'organisation du travail dans sa vie, sur les horaires des jours travaillés, etc.
Un des gros problèmes aujourd'hui des employeurs, c'est de garder les salariés d'abord, les trouver et les garder. Il y a aussi une volonté profonde de travailler, il y a une volonté profonde de se sentir utile, etc. Et on est en même temps dans une époque où les gens ont envie d'avoir pouvoir sur leur temps. L'autre jour, j'ai fait une conférence dont le titre était : "Les travailleurs ont appris à partir en vacances, aujourd'hui, les vacanciers apprennent à revenir au travail".
C'est évidemment un clin d'œil, mais ça veut dire qu'hier on était dans un monde fordiste, avec une culture hiérarchique, du cadre, de l'intermédiaire etc, qui est une culture masculine qui s'est transformée dans un patriarcat assez violent vis-à-vis des femmes. On n'est plus là-dedans, on est dans une autre époque, dans le rapport à ces différents sujets, où la question c'est : comment j'organise mon temps ?
Peut-être qu'il y a des moments où j'ai envie de beaucoup travailler, peut-être moins, ça dépend des âges. Peut-être que la question des horaires va devenir centrale. Peut-être que les 25% de télétravailleurs, on va peut-être discuter si on reste à deux jours par semaine, un peu moins ou un peu plus. Mais le pouvoir sur le temps est devenu l'élément principal.
Pour toutes les personnes qui ne travaillent pas, il y a une différence très nette à faire, entre celles et ceux qui voudraient retrouver un emploi, mais qui font face à des difficultés géographiques, de formation, d'âge, et celles et ceux qui ont un pouvoir sur la place du travail dans leur vie, qui en font un vrai choix ?
Mais bien sûr, il ne faut être pas naïf, il y a des gens qui cherchent désespérément du travail, qui n'en trouvent pas, soit parce qu'ils n'ont pas la bonne formation, soit parce qu'ils ne sont pas au bon endroit, etc. Parce qu'ils n'ont pas le bon âge, parce qu'ils n’ont pas la bonne couleur de peau. On sait parfaitement que les jeunes issus de l'immigration ont beaucoup plus de mal à se faire embaucher dans beaucoup de métiers, etc. On sait qu'il y a peu de filles dans les carrières scientifiques.
J'ai été à un congrès à Copenhague ce week-end consacré aux transports. Il y a très peu de filles dans ce secteur-là. En ce moment, on a créé 1 million d'emplois de plus, il faut encore en créer, et essayons de faire ça sans s'affronter de manière frontale. Il y a un peu besoin de plus de social, un peu de formation, un peu aussi de faire rêver les gens sur les emplois qu'ils vont occuper.
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